Bhèèèèèèrry

Comme vous le savez, la bouffe ça n'a jamais été mon truc (en dehors de la tonne de chocolat que je mange par année et mes cote de bœuf pour trois rien que pour moi). "Difficile" ou "picky" diront ceux qui parlent cette étrange langue, me qualifient bien. Trier mon assiette pour en enlever le moindre petit bout végétal qui aurait pu s'y glisser  a toujours été ma façon de manger depuis mon plus jeune age. C'est physique, des que j'en sens le contact s’opérer entre un légume et mes pastilles gustatives, je deviens un ruminant, je déglutis et je viens sauver mon estomac de cette torture à l'aide de mes gros doigts poilus. Les légumes sont mes pires ennemis, mais la liste de tous les aliments que je ne mange pas serait beaucoup plus longue que celle de ceux que je mange. En gros œufs, pâtes, riz , patates, viande (en triant le gras), poisson et... euh ??!! c'est a peu près tout. Mais tout ceci est du passé.

Je crois que çà sera pour le plus grand plaisir môman, je peux avaler tout et même n'importe quoi. Dans le "tout" on peut même compter bette à carde (il fallait que je le place celui là), épinards, poireaux et même des courgettes et aubergines. Dans le "n'importe quoi" il y a eu des fleurs, de la cervelle, du cœur, du museau, un gros mix de légumes dont je ne connais même pas le nom et qui se sera renversé trois fois dans ce sol boueux (pas évident de faire la popote pour 6 personnes sur un petit camping gaz à même le sol avec un gamin de 3 ans en guise de touilleur), des champignons sauvages et j'en passe. Tout ça sans l'envie systématique de vomir - grosse avancée pour un aventurier en devenir mais ce qui me fait saliver n'a pas change et je ne peux pas m’empêcher d'aller m'acheter ma grosse cote de bœuf de temps en temps. De plus je saute toujours aussi facilement des repas. Mais je suis atteint d'une nouvelle maladie : ne rien gâcher. Je finis tout et même si cela traîne depuis plusieurs jours.... Je suis passé de "difficile" à "gros dégueulasse vide table" en l'espace d'un voyage.

Suite à ces remarques culinaires certainement déjà faites, passons aux choses sérieuses.

Philippe et Richard (le voisin et compagnon de pêche) sont partis à la chasse. Oubliez le concept de la chasse en France. Ici, j'appelle plus ça une aventure épique pour barbare des temps modernes. 10 jours dans le bush, dans des marécages, des grosses montagnes avec le strict minimum car le but est de ramener des dizaines de kilos de viande sur le dos. Sans même une tente ou change. Vaillants, ils ont décidé de partir au sheep qui est certainement la chasse la plus difficile. La encore je ne parle pas d'un petit mouton dans sa prairie, c'est plutot d'enormes mouflons qui crapahutent sur les sommets avec l’agilité de nos chamois mais deux fois plus gros. Une fois l'animal trouvé, authentifié comme légal, abattu (pauvre bête), découpé et vidé au leatherman (genre couteau suisse), il leur a fallu charger les 100kg de viande et ramener ça pendant trois jours de marche. La tête est en train de bouillir depuis 4 jours dans la cuisine et ça sent le mort parait-il (je n'ai toujours pas d'odorat). J'ai l'impression d'avoir la tête du boss de Doom en trophée.

Pour moi, l'aventure était bien plus simple mais pas moins goûtue. Je guette l’arrivée des baies sauvages depuis plusieurs jours. Il y en a un nombre quasi infini ici, de la succulente à la mortelle. Mais j'en connais quelques unes et j'ai déjà repéré en face de la maison quelques arbres qui risquent d’être assaillis des que les baies seront mures. Malheureusement pour mon voisinage je suis le plus rapide et j'ai fait une grosse razzia. Des Saskatoon berries autrement appelées Alder leaf serviceberry, Juneberry; l'arbuste portant le doux nom d'Amelanchier alnifolia. C'est un genre de myrtille, appelée bleuet en français canadien : comme si ce n’était pas déjà assez compliqué comme ça... Pour simplifier le tout j'appelle ça des "miam-miam" et j'en ai même fait de la confiture.

Les trois que j'ai laissées pour les voisins

Un tiers de la récolte

Confiture de miam-miam

Interlude - Recette (expérimentale) de confiture de Saskatoon berry (il faut bien faire concurrence à Cyndy et Maud) :

- 4 cups de berry.

- 3 (2) cups de sucre.

- 1/2 citron.

Cuire les berries, ajouter le citron et le sucre quand ça commence à bouillir.

On cuit ça en 3 fois 20 minutes à feu doux en laissant reposer entre chaque cuisson.

On laisse reposer une demi journée dans le pot, en attendant on peut lécher la casserole.

Une passante me voyant ramasser et manger mes miam-miam se met a goûter (on préfère toujours voir quelqu'un tester avant soi).

- Wahouuu elles sont délicieuses !

- Yep, c'est mes préférées.

- Ah et celle la c'est quoi ?

- Soapberry me semble-t-il.

- Et ca se mange ?

- Euh.... C'est comestible mais...(elle se jete dessus et recrache tout)... Taste like shit (par pudeur je ne traduis pas cette partie).

Elles sont pourtant les bonbons préférés des ours, Soapberry ou Buffalo Berry et l'arbuste répond au doux nom de Shepherdia canadensis je les appelle les "pas miam-miam" mais les indiens en font les indian icecream.

Je sens que cette histoire de baie vous plaît alors je vais vous présenter quelques autres.

Je commencerai par la vilaine du coin. 5 petites boules suffisent pour tuer un enfant dit-on (et je compte bien tester cela pour vous, ayant potentiellement déjà trouvé ma cible) la Baneberry ou Snakeberry (Actea rubra). Une "pas miam-miam du tout" mais qui peut toujours être utile.

Baneberry

Ensuite la Timberberry, Nothern Comandra ou encore Pumpkin Berry (Geocaulon lividum). Je ne retiens que le dernier nom et on se demande pourquoi. Elle ne sont pas dangereuses (tant pis pour les gamins) mais je les classe dans les "taste like shit"

Pumpkin berry

La Dwarf Dogwood, Bunchberry, Canadian Dwarf Cornel (Cornus canadensis), une autre "taste like shit" meme si on peut trouver des recettes avec.

Bunchberry

Un petit retour dans la famille des "miam-miam", High-bush Cranberry (Viburnum edule). Voici donc les canneberges sauvages version petit arbuste. Les Red Currant (grosseilles)  sont affreusement semblables au High-bush mais comestibles de toute façon. Il existe aussi une version Low-bush Cranberry, (petites feuilles, tout petit buisson) appelées Lingonberry qui ressemble fortement à la Kinnikinnick (ou Bearberry) mais cette dernière, bien que mangeable, est à éviter crue (ou à donner seulement aux enfants). Les deux cote à cote je ne fais pas la différence, sans oublier la Bog Cranberry qui leur ressemble aussi... Une petite illustration de la difficulté de différenciation.   

Et pour finir, une des meilleures dans les "miam-miam" la Raspberry (framboise)

Raspberry

Voila un tout petit aperçu, il en existe un très grand nombre. Les reconnaître et être capable de les nommer devient un petit jeu de patience. Je n'ai mis que des photos de variétés relativement distinctes, mais il est impossible de dire la noire c'est ça, la bleu ça et la rouge ça. Il existe des sous espèce, une même espèce à plusieurs couleur... Il est souvent plus important de reconnaître la forme des feuilles que le fruit en lui-même, et même ainsi ça reste difficile de les distinguer. Connaître la fleur peut sauver la vie mais quand il y a des baies c'est que ce n'est plus la saison des fleurs :)

Manger des "trucs sauvages" c'est marrant mais même ce qui est soit-disant comestible peut provoquer des troubles, voir devenir dangereux. Tout comme les poissons d'ailleurs, il est toujours conseille de ne manger cela qu'en petite quantité. Un fruit peut être bon mais les pépins dangereux pour une espèce. Dans d'autres cas des toxines peuvent se développer seulement à certains stades de l’évolution de la plante... Bref, ça demande un minimum de connaissance et je m'y emploie. Quoiqu'il en soit j'ai eu une très grosse commande de confiture sur Whitehorse.

Bon c'est bien beau tout ça mais où sont les protéines ???

Ok, passez-moi la moutarde !

PS : Le site de référence pour le Yukon : CYSIP : Central Yukon Species Inventory Project