Friday, August 10, 2012

Définitivement pas de ce monde

J'ai encore fait des vagues bien plus grosses que moi au travail il a fallu que ma boss sorte de son bureau pour me rappeler à l'ordre devant une immense file de clients. Par chance un de ses amis clients et témoin de la scène qui m'a fait littéralement péter les plombs est intervenu, m'a applaudi en me donnant un gros tip et en disant a ma patronne "Tu as de très bons artistes". Il m'a sauvé la vie, me faire virer signifierait la fin de mon aventure au Canada. Je ne me pencherai pas plus la-dessus, cela ne paraîtrait que comme des vaguelettes pour vous mais pour moi ça aurait pu justifier un "Blackhorse et le washroom keys vol.2" voir une troisième guerre mondiale. En guise de décompression forcée j'ai eu le droit a deux jours de repos cette semaine.

Je me sens toujours aussi isolé dans ce Yukon si riche en possibilité. Bizarrement ces jours off censés me permettre de profiter pleinement de ma terre promise sont des jours de grands questionnements remplis d'un immense vide d'envie, je regrette presque le formatage quotidien de mon esprit qui me permet d'aller travailler. Pour contrer cela j'enfourche mon vélo pour aller nul part. Il me semble ne pas avoir le choix, longer la riviere, regarder les enfants s'amuser sous le jets d'eaux de l'aire de jeux, contraste si marquant de ce grand nord réputé pour son hiver rude - on a du mal à se l'imaginer en maillot de bain. Leur joie et leur cris sont d'autant plus intenses qu'ils savent combien ces chaudes journées ensoleillées sont précieuses ici. J’échange un bonjour avec ces pauvres titubateurs étonnés de voir que je ne suis pas uniquement l'artiste des sandwichs qui, enfreignant les règles, leur ouvre les portes des saintes toilettes ou leur accorde, grâce à mon pouvoir divin, un (maudit) verre d'eau. J'observe ces gens de passage déambuler au milieu de cette faune urbaine portant sur leur front la mention "non fréquentable". Ces touristes en quête des beautés du grand nord ont l'air surpris et effrayés par ces first nation alcoolisés qu'ils dévisagent longuement comme on regarderait des bêtes de foire.

Je veux pouvoir partir loin, fuir ces dégoûtantes villes bien trop peuplées et goudronnées pour moi. Un retour aux sources s'impose, en un coup de guidon je m'en vais vers la hutte de castor la plus proche en quête d'apaisement. Si cela fait rire tout le monde quand j'en parle, je sais qu'eux et la nature en général ont les clés de mon bonheur ou du moins de la zénitude de mon esprit torturé. Assis, camouflé dans le végétation je guette. Je suis à 5 minutes de la ville et j'entends encore les sirènes de police ou des ambulances, le bruit de la circulation, de tous ces gens vaquant à leurs occupations. Je me sens pourtant la totalement isolé et bien qu'aucun signe ne soit apparent  en dehors de ces bois si soigneusement décortiqués, je sais que la nature est la, et ma foi me dit que ma patience et le vide fait en moi seront récompensés par un signe flagrant de sa part. Il suffit d’éveiller ses sens (si peu développés soient-ils) pour la voir, la sentir et l'entendre me donner des réponses. Il ne me faut pas longtemps pour sentir des frissons monter le long de ma colonne vertébrale. Les animaux sont tout autour de moi mais sont soit trop furtifs soit trop bien cachés  pour les apercevoir. Comme pour les aurores boréales, observer la faune sauvage demande du temps, multiplier les occasions, et se donner la peine d'ouvrir les yeux. Certains yukonnais ici depuis des années disent qu'ils n'ont jamais vu les castors ici...


Comment pourrai-je me sentir aussi bien que maintenant autrement que seul ? Ce bonheur est purement égoïste. Avec quelqu'un ici je serai incapable de ressentir ces frissons, et la nature ne viendrait jamais à moi. Voila que je pense aux insignifiants (mais malheureusement homologues) bipèdes  que j'en oublie la raison de ma venue ici, à deux pas de la maison d'un de mes vénérés castor. C'est toujours pendant ces moments que la nature me fait signe et me rappelle à l'ordre. Après deux heures, les yeux s'eparpillant dans le flots et l'esprit divaguant, je me lève brusquement avec l'intention de rentrer, bouger pour éviter que mon cerveau aille trop loin emporté par la Yukon river. C'est à ce moment que j'entends un petit "couic couic" caractéristique provenant d'un petit tamia qui était à 3 mètres de moi, suivi d'un gros "Plof" tout aussi caractéristique : le système d'alerte des castors. Je ne l'ai pas vu, mais j'ai travaille mes sens pendant de longues heures au Canada pour reconnaître les bruits de la nature.

Je sais qu'il va ressortir la tête pour observer l’étrange bébête que je suis. Ce sont des castors urbains donc bien moins craintifs que ceux qu'on croiserait dans des endroits bien plus reculés. Mais ils restent méfiants, j'aurais pu être accompagné d'un fidèle quatre pattes poilu  adorant courir et nager après les castors ou un de ces abrutis s'amusant a lancer des cailloux sur ces experts de la construction. Il réapparaît par intermittence comme pour vérifier mes gestes et tester mon niveau d’hostilité potentielle. Lors de ses plongées je tends l'oreille pour savoir si monsieur aux longues dents ne sortirait pas un peu plus loin sur le rive. J'entends un gros raffut non loin de moi, je me dirige donc vers ces bruits qui pourraient être ceux d'un animal du gabarit du castor. Je me déplace dans cette végétation dense, moment ou malgré tous mes efforts il est impossible de passer inaperçu, généralement c'est le meilleur moyen de faire fuir l'objet de mes convoitises.

Le décollage d'un "bébé" goéland ne me trompe pas, ce n'est pas lui qui faisait ce vacarme. Si la semaine dernière ils étaient encore tout petit et ne faisaient rien d'autre que de crier pour réclamer leur nourriture, ils ont maintenant double voir triple de volume et savent maintenant voler mais restent encore très maladroits dans les airs. Ils sont passés de nouveaux nés a adolescents en moins de 2 mois. Ils sont presque aussi gros que leurs parents mais ne sont toujours pas autonomes pour leur repas : c'est tellement plus facile de laisser papa-maman faire la popote pendant qu'on s'amuse avec ses nouveaux jouets : des ailes (presque) fonctionnelles. Leur survie en dépend, le petit îlot qui abritait 4 enfants plumes n'en compte plus qu'un seul depuis 2 semaines. Ainsi va la vie dans la nature, il en faut certains pour nourrir d'autres espèces et seul un petit nombre survit pour assurer la continuité de l’espèce. C'est bien dommage que l'homme se soit détaché de cette règle élémentaire.

L'orientation à la vue ne marche que très peu dans les bois, il pourrait y avoir un ours a deux mètres que je ne le verrais pas. Ca rend la chasse (avec ou sans objectif) d'autant plus alléchante. Je suis en face de l'arbre d’où provient ce bruit et je remarque le popotin de Alf le porc-épic. Lui ce n'est pas un bricoleur, c'est juste l'animal le plus écrasé sur les routes (en dehors des moustiques sur les pares-brise). Mais celui si a décidé de monter un peu plus haut dans l'arbre pour profiter des rayons de soleil ou plus probablement pour rester hors de portée du bruyant bipède qui s'est approché. Mon camarade sandwich-artist photographe japonais amoureux du nord, trouve que ces bestioles  ressemble à Alf. Il est vrai qu'il y a un petit air de famille sauf qu'eux ont une coupe à la brosse. Il est plutôt rare de les voir de face, leur visage étant le seul endroit dépourvu d’épine, ils préfèrent souvent le dissimuler. Mais si il vous regarde droit dans les yeux c'est l'assurance d'en tomber amoureux. Ils sont à croquer mais au sens figure, les chiens qui essaient au sens propre ne le font généralement qu'une fois dans leur vie.

Photo prise à minuit
Apres quelques heures a me ressourcer je décide de rentrer. Il est déjà minuit et le couche de soleil est splendide, comme souvent. Un rapace passe juste au dessus de ma tête et va se poser dans un arbre sur le bord de la rivière. Encore un animal majestueux : un jeune aigle. Dans ses yeux il y a tout ce qu'il faut pour me ressourcer, il me fixe et semble me dire "N'oublie pas pourquoi tu es la". Certains entendent des voix, d'autres me parlent des fantômes qu'ils ont vu ou de ce que dieu a pu leur dire mais le fou dans l'histoire restera celui qui a cru entendre les conseils d'un oiseaux et qui complimente un porc-épic pour sa magnifique coupe.

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