Tuesday, December 10, 2013

Ma vie de rêve

Il semblerait que l'absence d'écriture amène les proches à m'envoyer des mails voir même à chatter. Le thème commun tourne autour du « rêve » que mes « aventures » procurent. J'ai un peu de mal à concevoir cela. Évidemment je ne peux pas omettre combien une vie dans le grand nord sauvage peut faire rêver le travailleur, qui quotidiennement, va s'asseoir derrière son petit bureau avec son écran comme seule fenêtre vers le monde extérieur. C'est aussi, en un certain sens, cela qui m'a amené ici.

Susciter l'envie est sûrement ce qui me tracasse le plus. Je ne peux pas m’empêcher d'entendre dans ces discussions une sorte de complainte « Nous on se fait chier, on va bosser tous les jours, heureusement que tu es là pour nous faire rêver ». Je me sens là obligé de réagir. Je travaille également tous les jours, pour ma saison à Dawson je lavais des casseroles pas loin de 10 heures par jour 6 jours par semaine  (parfois 7) ce qui représente pas loin du double de temps de travail d'un gentil petit 35h. Je fermais tout seul le restaurant à 1-2-3 parfois 4h du matin, pour retourner dans ma tente dans les bois (en évitant les ours bien évidemment). Après la saison je me suis pris 5 jours de repos pour finalement repartir vers un nouveau boulot : construire une maison.

Gaetan, un ami musher, m'a proposé ce job à 80Km de Whitehorse et de me loger dans sa tente prospecteur le temps des travaux. Quand il a commencé à faire plus froid, j'ai déménagé dans la cabane d'un autre collègue plus facile à chauffer. M'y voila donc dans ma petite cabine, livré à moi même. Ma mission ici étant de montrer trace de vie pour éviter un vol, mais également, dans la mesure du possible, de chauffer une autre maison en construction sur ce terrain.

Dans ma cabine j'ai une gazinière, un petit chauffage au gaz et un poêle à bois. Il n'y a ni eau courante, ni téléphone, ni électricité mais j'ai la possibilité d'y brancher un groupe électrogène pour avoir de l’énergie, une lumière autre que celle de ma frontale. Tout ceci rajoute une couche à cet isolement parfois pesant quand il est vécu, propice aux rêves quand il est lu.
Laissez moi donc vous faire rêver un peu plus en vous racontant mes dernières aventures en cabane. Nous avons mis un terme aux travaux vendredi dernier, je suis donc en vacances. Au réveil mes yeux accrochent le thermomètre installé dehors devant ma fenêtre : -30. Le ciel est magnifiquement bleu je décide donc d'en profiter pour en faire une journée balade en n'omettant pas mes taches vitales. Trancher du bois et charger le poêle de la maison puis redémarrer celui de la cabine. Démarrer la voiture et la laisser chauffer. Faire la vaisselle en mode minimaliste pendant qu'il fait jour - c'est plus pratique que de faire ça à la lampe frontale. Puis arrive le rituel quotidien de la gratte sur le pare-brise et les fenêtres. Ma combinaison de cosmonaute est enfilée, avec elle je me sens lourd : 4 couches sur les jambes et 4 en haut, des bottes qui font le poids de mes jambes, une cagoule et un bonnet, deux paires de gants. Direction... K L U A N E !!!! Si bien sûr j'arrive à sortir ma petite japonaise de ce champs de neige...

La solitude m’amène souvent à me dire : Qu est ce que je fous là ? N'ai je pas l'air con quand je parle tout seul pour rompre ce déroutant silence ? Suis je en train de vivre ce que je veux ? Ne suis-je pas en train de me forcer à faire quelque chose pour ne pas sombrer dans une profonde dépression ? Suis-je en train de fuir quelque chose ? Comment chasser le petit quand on a que 4 atouts en main ? Par chance toutes ces questions trouvent leur réponse quand mes yeux se posent sur les paysages environnants.

Je m'arrete faire le plein à Haines Junction. « Pretty cold today eh ? Actually, it's damn fucking cold : -44 with the wind chill » me signale mon voisin de pompe, c'est la première voiture que je vois ces derniers 100Km. A-t-on réellement besoin de dire qu'il fait plus froid que ce qu'il fait réellement ? Je continue ma route en direction de Kluane lake en espérant avoir assez de temps pour une petite marche. Je connais ce sentier mais ne suis jamais venu en hiver. 

Kluane lake
Il n'y a aucune trace sur la neige fraîchement déposée. Après une bonne heure je commence à avoir le visage gelé, le vent est digne de mon bon vieux mistral ce qui n'est pas commun par ici. Je continue ma marche, le visage dans les mouffles. Je m arrête de temps en temps, retire mes gants pour toucher ma face, le probleme avec le froid c'est que le passage du stade «je ne sens plus mon visage» à celui «Merde, j'ai une gosse engelure sur le nez» peut se faire très rapidement. Crétin dans l’âme, conscient de mes limites mais adorant fleurter avec, je continue. Je ne peux pas être venu ici sans atteindre au moins la première crête : je peux être récompensé, il y a des mouflons de Dall dans ce massif. 

Ni mouflon ni engelure ce jour là, mais 3heures de marche par grand vent par ces températures restera pour moi une grosse épreuve - il me faut plus de graisse. Je reste une demi heure à me réchauffer avant de pouvoir conduire. Je suis littéralement exténué et lutte pour rester vigilant sur la route.

De retour à la cabine, les deux poêles sont morts, le chauffage au gaz tourne à fond mais peine à réchauffer mon petit mobile home. Le rituel reprend, préparer une boisson chaude, faire du petit bois, démarrer les feux mais pourtant mon cerveau m'ordonne d'aller me coucher (à moi, l'insomniaque ?!). Le souci de ce poêle a bois est qu'il ne dure que deux heures, il me sert surtout à économiser du gaz. J'ai deux bouteilles, celle ci est la 2e et je l'ai mise avant hier, généralement une bouteille me dure un peu moins d'une semaine.

Je me réveille dans la nuit, couette et duvet ne suffisent plus pour me tenir chaud, en sortir est mission impossible mais je dois faire quelque chose. Plus de gaz, la bouteille aura duré à peine plus de 48heures, 3 fois moins que d'habitude. Pas le choix, je dois enfiler ma combinaison, retourner faire du bois et relancer le poêle, ça me donnera un peu de répits. Je somnole pendant 4h en me levant toutes les heures pour jeter une bûchette dans le mini poêle et finis par rester en compagnie de Morphée.


The ice throne
La lumière du jour me réveil, il doit être au moins 10 heures. Mon verre d'eau a eu le temps de geler après la dernière bûche lancée dans le feu. Je n'ai pas d'autre choix que de retourner en ville. Le rituel du feu reprend après un petit tour sur mon trône de glace. Je démonte les bouteilles de gaz en faisant attention de ne pas briser la tuyauterie : le gel rend tout très cassant. J'en profite ensuite pour me faire un gros café dehors avec mon camping gaz - manipuler tout ça avec des moufles sans les brûler est un art, je n'ai jamais eu la fibre artistique.

Vient le temps de chauffer la voiture mais pour la première fois elle ne démarre pas. J'ai une prise reliée à un coussin chauffant pour ma batterie mais je ne sais pas si le générateur pourra alimenter cela.

Les points communs des yukonnais vivants hors ville semblent être un esprit de débrouille hors norme, un amour sans limite pour les outils et de pouvoir garder son sang froid en toute circonstance (les -30 peuvent y aider). Je suis, pour ma part, certain d'avoir ces deux premiers points avec moi et me surprend quand à mes capacités sur le 3eme. Mon cerveau s'active, je trouverai une solution dans ce petit atelier. Les cadenas sont gelés, je commence à être habitué à cela. Mon choix pour les ouvrir sera de l'eau bouillante : heureusement que j'ai ce petit réchaud de camping finalement. La caverne d'Ali Baba s'ouvre finalement. Il y a la des dizaines de bouteilles de gaz (vides), des outils, une petite collection de tronçonneuse (scie à chaîne en français)... le bidon d'essence que je cherchais. Je déplace donc le gros générateur près de la voiture  et essaie cette prise pour la première fois. Si tout se passe bien, une heure de chauffage devrait suffire, juste le temps pour un autre café.

Le sirotant, je vois un arc électrique sur le capot moteur. Je cours vers ma voiture, saute sur le disjoncteur... Je dois me rendre à l’évidence : le plan A ne marchera pas, ma prise est en fait arrachée : encore le pouvoir du froid sur des câbles électriques. Pas de stress c'était le plan le plus simple et le plus logique, précisément le genre de plan qui ne marche jamais. Pour plus d'efficacité dans ma réflexion je me réfugie dans l'atelier : les outils m'inspireront.

La maison
Un plan B germe dans mon neurone. Il consisterait à essayer de brancher une autre batterie dessus. Michel, le propriétaire des lieux, a débranché toutes les batteries de ses voitures et les a stockées dans la maison. Brillante idée me dis-je, mes yeux étant rivés depuis 5 minutes sur une étrange petite boite : un chargeur de batterie. Il semblerait que le plan C soit finalement prioritaire. Je n'ai aucune idée de comment cela marche, que choisir sur le sélecteur d’ampérage, combien de temps cela doit durer. Ma batterie n'est pas vide, elle est juste froide. Assez de questions pour douter de l'efficacité de ce stratagème mais j'aime essayer des outils inconnus. Laissons cela branché le temps d'un petit café. Cela fait 5 heures que je suis debout et que je comptais retourner en ville. Je n'ai pas récupéré de la veille, j'embrasse donc mon oreiller et sombre.

C'est en sursaut que je me lève une heure plus tard. Le générateur est éteint... plus d'essence. Me connaissant j'aurai pensé pouvoir craqué à ce moment précis. Ma nervosité m'aurait, jadis,  poussée à taper quelque chose de toute mes forces, à la tête au poing ou au pied. Il semblerait que flegme soit mon nouveau surnom. A quoi bon perdre sa précieuse énergie - je n'ai pas perdu mon temps, il ne m'appartient pas. Quelques gouttes d'essence redonnent le sourire au générateur et c'est reparti pour un tour de charge.

Après une petite heure finalement je parviens à démarrer ma belle petite japonaise. Back in business...  Si bien sûr j'arrive à la sortir de ce champs de neige... Il est 5 heures de l'après-midi il fait nuit depuis une bonne heure déjà.

Voila l'histoire de mes dernières 48 heures. Heureusement que j'avais déjà eu des tonnes de problèmes avant cela, rien ne se passe normalement, il semblerait que la loi de Murphy soit née ici. Il y a finalement quelque chose qui pousse à se dire : tant que je peux bouger, je peux trouver des solutions. Je n'ai pas pu m’empêcher de penser à tous ces messages «Tu nous fait rêver» mais reste persuadé qu'une telle journée serait un cauchemar pour beaucoup. De mon coté je n’écris pas cela en guise de complainte ou pour exagérer les «difficultés» d'une telle vie. Tout ceci est mon choix : l'amour de la difficulté, apprécier que rien ne se passe comme prévu, mettre à l'épreuve ses capacités d'adaptation. Le gain de confiance en soi n'a pas de prix pour quelqu'un qui n'en a aucune.

2 comments:

  1. De singulières photos prises dans une contrée lointaine, « sauvage » et peu peuplée font forcément rêver pas mal de monde ! Et l’envers du décor ne saute pas immédiatement aux yeux.
    (Tiens, d’ailleurs, lors d’un récent festival photos j’ai rencontré Nicolas D. et on a entre autres parlé de toi…)

    Pour te remonter le moral laissons parler Thoreau un instant : « Nous partons à la recherche de la Solitude et du Silence, quand bien même ils n’habitent que dans les vallons lointains et au fond des forêts – et ne s’aventurent hors de ces forteresses qu’à minuit. » « Je suis de plus en plus enclin à abandonner la ville et à me retirer dans la nature sauvage. » ou encore « L’Atlantique est pareil au Léthé en le traversant, nous avons l’opportunité d’oublier l’ancien monde et ses institutions. »
    Cela vaut bien une tartine de nutella et c’est sans huile de palme ! ;)

    Je suis loin de passer mon temps dans un bureau mais je t’envie quand même un peu d’être resté chez les ours alors que je n’ai fait que d’y passer!
    Tu devrais peut-être songer à troquer ton char contre un traîneau ! Tu écrivais toi-même cet été « Mettre des petits coups de rame au milieu du nul part est surement moins dangereux que de démarrer sa voiture. »

    Laissons le mot de la fin au grand Jack « C’est au Klondike que je me suis découvert moi-même. Là, personne ne parle. Tout le monde pense. Chacun prend sa véritable perspective. J’ai trouvé la mienne. »

    Bonne chance avec tous tes poêles et bon courage pour la suite de l’Hiver.
    Que les Aurores veillent sur toi.

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    1. Toujours un régal tes commentaires ;)

      Si tu n'as fait que passer j’espère que tu auras l'occasion d'y revenir, même si j'imagine qu'un voyageur comme toi doit avoir un grand nombre de destination en tête avant d'avoir envie de retourner sur ses traces.

      Excellente continuation, un grand merci pour me suivre encore.

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