Saturday, August 3, 2013

L'indien et la canette


Assis sur ce trottoir en bois en face du plus célèbre bar du nord Canada j'ai enfin trouvé une connexion vers l'internet. Je suis dans mon trou perdu, faisant mes petites affaires tout seul mais me sens de plus en plus à ma place dans la charmante Dawson city.



Profitant de ce carré d'ombre en cette journée plus que trop chaude pour un yukonnais en herbe, j'observe la population. Un peu plus loin un groupe de locaux semble faire la même chose mais d'une méthode un peu plus bruyante. Ils interpellent chaque touriste d'un insistant "Hey, salut, comment ça va ? Comment va la vie ?" ceux à quoi on leur répond avec un charmant sourire et un pas plus pressant. Ces retraités en vacances n'ont pas fait tous ces kilomètres jusqu'au bout du monde pour tomber dans les pattes d'une bande de jeunes indiens un peu trop éméchés qui eux s'amusent des réactions de leurs "semblables".



Seul dans mon coin je suis une proie, mon heure viendra, ça sera loin d'être une première, la suite va d'une simple pratique de la langue à la conversation de la journée finissant les poches pleines de saumon. Puis l'interpellation "Hey bro' !" arriva. Elle me rappelle le "Oh blond !" bien que plus amicale (familiale  oserai-je même dire). Mon "Comment ça va ? Comment va la vie ?", pale copie au french accent en ramène l'un d'eux s'asseoir à coté de moi. 


Une conversation commence toujours par les banalités. Mon accent ne cache pas ma francophonie mais dire français de France ramène très souvent des "Wahouuuuuuu un vrai français" comme si  il en existait des faux. On en vient souvent donc aux différences avec le québécois, à croire que c'est important pour les anglophones aussi... 

Une copine (française) passe pour dire bonjour au milieu de cette discussion. Evidemment, tout bon mâle sera plus facilement intéressé par une demoiselle. Il lui est donc facile de voler, même  inconsciemment, l'attention de mon interlocuteur . Malheureusement elle a l'air peu à son aise avec cet indien légèrement alcoolisé. "Hey, I'm an indian eh?! I come from Old Crow ma'am ! Yep". 

L'appât n'a pas marché, elle s'en va. Il va devoir se consoler avec son "bro'" qui lui a du temps et les oreilles bien ouvertes. Par chance nous avions attaqué les banalités et ouvert quelques portes,  nous en venons donc directement à des choses plus importantes.

Il a mon âge et a été élevé par ses grands parents a 150Km en amont d'Old crow. Ce minuscule village le plus au nord au Yukon accessible qu'en avion (ou en canot). Pour la première fois je discute avec quelqu'un qui m'apprend d'autres mots en Gwich'in (leur langue) en échange de quelques mots de français. Il le parlait couramment mais ayant quitté son village vers 15 ans pour arriver à Dawson city (la grande ville) il ne le pratique plus. 

Des différentes langues indigènes de la région elle reste la plus parlée, mais il pense qu'il la verra disparaître. Ayant passé deux hivers à lire sur le sujet je suis ravi d'échanger avec lui et lui de voir qu'un misérable petit blanc se soit intéressé à tout ça. Nous concluons finalement par un simple "C'est triste" puis un "Qu'est ce qu'il y a comme jolies filles ici" pour finir sur une note plus légère. 

Ses études ici, formation à Whitehorse, travail en Alberta, retour au Yukon entre vacances et échec tout y passe. Nous échangeons ensuite sur  le bush, la nature, la rivière... Puis vient le rituel où on demande (ou redemande) le prénom et où on se sert la main. A mon grand regret je ne retiens jamais les prénoms c'est une maladie commune en ce genre d'endroit où on ne cesse de rencontrer de nouvelles personnes. Mais il me suffit de dire "Morgan, comme Captain Morgan" (un rhum épicé très connu dans le pays) pour que les gens retiennent le mien (ou m'appellent captain).

Cette troublante discussion me pousse à aller me poser au bord de la rivière à l'abri de l'excès d'urbanisation et de bipède. Les yeux hypnotisés par les remous de l'eau et les oreilles par le bruit de la rivière, je songe.

Un ancien m'avait parlé des jeunes qui s'en allaient :"Mais c'est bien, ils partent étudier, s'instruire et y a du travail là bas, une vie". Cela sonne un peu comme un discours appris et récité bien sagement tant il est communément dit, ils ne savent que trop bien combien finissent mal en rejoignant les villes. "Il faut espérer que certains reviennent ici, parce que quand on regarde ceux qui gèrent les affaires first nations ici il y a plus de blancs"  est devenue ma réponse habituelle depuis que je l'ai vue faire rire. 

Mes pensées ne s'élèvent pas vraiment. 

Devoir changer de croyance, de langue, de mode et de milieu de vie  de manière imposée est une partie de leur histoire, Voler leur "pays" et ses ressources, leur octroyer un peu de terre qu'on appelle réserves (mais qui aurait pu s'appeler parfois camps) est une partie de la notre. 

Ils me disent que jamais dans leurs mots je dois entendre une plainte. De l'autre coté des excuses sont parfois faites mais le processus d'assimilation est toujours à l’œuvre. Rien ne peut se mettre en travers de notre modèle de société de glouton. Pas mêmes ceux qui auraient pu nous corriger et nous apprendre à renouer contact avec la nature. 

Beaucoup s'égarent dans ces chemins si longs et remplis de pièges mais certains parviennent à s'adapter à ce que le monde occidental exige sans que ni (tête) nous voyons l'effort demandé  ni nous nous soucions de la disparition de ces cultures. 

Pourquoi autant de soumission ? "Pas le choix que faire d'autre ?". Pourquoi autant d'alcooliques ? "N'y a t il pas des âmes tourmentées qui sombrent dans l'alcool ou autres drogues chez les blancs ?" J'ai mes réponses, elles sont souvent les mêmes je peux donc les prendre à leur juste valeur et  sont regrettablement celles que j'attendais tant elles sont logiques. Répondre par une question peut des fois paraitre comme ambigu voir une esquive mais peut aussi simplement souligner l'évidence. 

Mon excès de compassion  y voit aussi  une totale perte de contrôle et un besoin d'aide appropriée. Peut être que mon armée de castor pourra faire quelque chose mais en attendant écouter, échanger restent le principal. Il suffit de dire ces deux mots pour parfois voir les yeux passés de "hostiles" à "très amicaux" instantanément.

Mais pourquoi tout cela me turlupine-t-il tant ? Comment, fier nouveau migrant que je suis, puis-je autant haïr la colonisation et l'impact des blancs sur ces premières nations ? Pourquoi ne me satisferais-je pas des jolies filles qui passent en ville plutôt que perdre mon temps à vainement imaginer une solution miraculeuse dans les eaux de la rivière  ?

Ma vision et mon esprit  reviennent quand mon ouïe est perturbée par le bruit d'une canette tapant sur  les roches du rivages, je déteste voir ça. Evidemment, c'est une canette de bière et pas n'importe laquelle : une Canadian et sa belle feuille d'érable. Elle a très bien pu parcourir des centaines de kilomètres comme un petit drapeau défilant sur une rivière sacrée, ou encore avoir été bue et jetée par un de ces soulards ayant totalement perdu le sens du mot "sacré" mais pour qui l'assimilation se sera infiltrée jusque dans le nom de son breuvage.

2 comments:

  1. Je me souviens d' un jour qui ressemble a celui ci, je me souviens d'une journée ou nous n'avons pas ete d'accord a ce sujet, dur d'en discuter apres avoir rencontre cet homme qui nous avait offert du saumon seche, aujourd hui je te lis et je me rappelle la traversee courte mais tourmentee de la yukon river apres cette mesentente ou je n arrivais pas a m expliquer mes propres pensees. Pour la premiere et unique fois je crois je nai pas reussi a monter le trail pour rejoindre ma tente, un mauvais pressentiment du a une gene trop lourde a porter, javias ete blesse de ne pas avoir su texpliquer mon opinion, jai fais du stop et tu mas ramené,
    contente de te lire, tu as su ecrire ce que je nai pas su dire

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    1. Hey je connais cette Anonymous !
      J'aurais pu écrire sur ce jeune avec tout son saumon également, une grande discussion encore ce jour là. Si troublante que ce n'était pas le moment pour moi d'échanger avec des «blancs».
      M'enfin, il faut pas trop se prendre la tête quand on discute avec moi, je suis rien d'autre qu'un chieur adorant contre-dire qui comprend de travers et souvent mal-luné :D
      Amusez-vous bien au sud ;)

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