Friday, December 28, 2018

Scratchy & Cassidy


Une quatrième saison à courir les deux mêmes chiens de tête :


Scratchy, 6 ans : le moteur, une petite folle. Aucun intérêt pour les autres chiens. Tout ce qui compte pour elle c’est courir, son os, et ses humains. Incapable de garder la ligne droite quand on attache l’équipe ou quand on fait une pause. Incapable de canaliser son énergie ou son amour pour les humains. Il lui arrive de confondre droite et gauche. Elle préfère les chemins de routine simples et ouverts et se reposera sur Cassidy pour les commandes compliquée ou pour ouvrir des chemins dans la poudreuse..


Scratchy

Cassidy, 9 ans : le cerveau, la boss. Femelle alpha dans le chenil mais n’a aucune influence (mais prétend en avoir) sur Scratchy. Parfaite en trail, exceptionnelle pour ouvrir des trails. J'ai toujours plus de photos de sa partenaire (pas toujours facile de faire le focus sur un chien noir) et parle souvent plus de Scratchy mais Cassidy impose le respect. Elle est celle qui nous sort de situation difficile, celle qui restera fiable pour retrouver la piste. Elle est celle qui mène la team à un niveau supérieur. Elle arrive parfois à gérer des larges demis tours, des slaloms entre les arbres. On arrive maintenant à prendre des jonctions très serrée, elle sait exactement ce que je veux. Je m'efforce de changer les parcours au maximum car elle aime le challenge. Chaque commande lui donne un coup de boost qu'elle retransmet au reste de la team. Mais contrairement à son frère elle aura toujours tendance à vouloir rejoindre les pistes. Logan pourrait courir parallèle à la piste dans de la grosse poudreuse si on lui demandait.

Cassidy
J’ai essayé de nombreux autres leader, certains sont encore plus impressionnants en terme de réponse aux commandes mais les nombreuses aventures partagées avec mes petites crapules font la différence. Les chiens ressentent tout : si vous êtes fatigué, mal luné ou dans la lune, énervé, stressé, effrayé, serein, en confiance, heureux... Et évidemment tout marche mieux avec de la passion et de la patience.

A quelques occasions il m’est arrivé d’essayer d’autres combinaisons mais Scratchy et Cassidy se challengent en permanence et adorent clairement cela. En dehors du mode travail et quand elles sont libres, si Cassidy est censée être la dominante et la plus expérimentée elle suivra Scratchy (la meneuse) partout et fera tout comme elle. En mode travail les rôles s’inversent et Cassidy n’hésitera pas à donner un gros coup d’épaule pour remettre sa voisine dans le droit chemin. 


Si les deux m'obéissent relativement bien, elles sont de vraies chiennes de traîneau. Elle ne supporte pas les intérieurs, les planchers en béton ou en bois. Il m'est plus facile de les faire sauter dans une flaque d'eau que dans mon lit (contrairement à Celeste qui rêve d'une vie de chien de compagnie).

Chaque année je me dis qu'il serait temps de laisser plus de repos à Cassidy, elle commence  être âgée et avoir une partenaire comme Scratchy est un peu comme avoir à supporter l'énergie d'un chiot en permanence.  Mais je la trouve de plus en plus impressionnante dans son travail ne montrant aucun signe de lassitude contrairement à son frère qui est lui aussi un leader d'exception. En revanche j'ai toujours espéré utiliser Cassidy pour entraîner d'autres leader mais rien à faire. Elle supporte peu de femelles en dehors de sa Scratchy et supporte que les mâles un peu soumis qui souvent manquent de confiance pour être de vrais leader. Soit elle refuse totalement de travailler, soit elle prétend ne plus connaitre aucune commandes, soit elle adorerait castagner son nouveau partenaire mais n'en fait rien car elle connait mes représailles.

Scratchy est l'imperturbable, ni soumise ni dominante elle est Scratchy. Elle peut être incroyablement agaçante mais j'ai appris à garder mon sang froid. Le prix à payer pour avoir l'honneur de courir avec cette chienne exceptionnelle. Physiquement elle est parfaite, jamais grosse (comme sa soeur), jamais maigre. Toujours de l'énergie et un enthousiasme à revendre. Je me souviens d'un autre guide me regardant attacher ma team "Eh ben, je sais pas comment tu fais, tu dois être le musher le plus patient ici pour arriver à la supporter". Effectivement elle avait fait trois nœuds autour d'un chien, quatre autour d'un arbre le tout en moins d'une minute tirant et sautant partout comme si de rien n'était. J'ai essayé de m'énerver, de le prendre patiemment, de lui montrer, de l'attacher, de lui mettre un bol de bouffe devant... rien ne marche. C'est un gros défaut mais ses qualités compensent largement tout ça alors quand elle me regarde en me lançant son "Wooo hoouuu houuuu" avec la moitié de la team emmêlée derrière elle je lui dis juste un "Oui oui Scratchy moi aussi je t'aime bien" et essaye de défaire les nœuds plus vite qu'elle ne les fait.

Sortir avec une seule de mes deux leadeuse est pour moi comme aller courir sur une seule jambe. Si l'une est blessée elle me manquera et la performance de ma team s'en fera ressentir.

Comme je disais ce lien entre le musher et ses chiens est un sentiment unique qui se forge au fur et à mesure des difficultés surmontées. Certains moments resteront gravés à jamais.

Le jour où j’ai compris pourquoi ce canyon était appelé windy pass :
Troisième jour de camp à Coal lake avec deux français, une de la Guadeloupe un de la métropole. Comme à l’habitude on se lève, nourrit les chiens, petit dej, cacafé, rangement et décollage. Dans notre vallée le ciel est bleu, le soleil bien présent, pas de vent, il doit faire pas loin de -20, température idéale. La journée s’annonce parfaite ce chemin de retour n'a rien de nouveau pour moi, il a été fait des dizaines de fois. Les clients sont bons et sympas tous deux vivant le dernier jour de leur aventure de 10 jours et me disant que cela est la plus grande expérience de leur vie. Notre route nous mène au pied d’une montagne, s’en suit une longue monté menant au col et son fameux canyon : windy pass. 

Depuis le bas je vois qu’il semble y avoir beaucoup de vent au sommet, la neige fraîche est soufflée, il y en a tellement que le ciel reste invisible alors que là où nous sommes tout est calme. Je conseille à mes clients de retirer leur veste pour l’ascension (la transpiration est notre pire ennemi), on fera une pause avant le sommet pour se couvrir. Plus on monte plus je me rends compte que le blizzard est extrême là haut. Avant de parvenir au sommet je m’arrête et enfile ma veste grossièrement. Très rapidement la piste disparaît soufflée par la neige, de profonds bancs de neige, des bourrasque stoppant net mon attelage, de la neige griffant mon visage gelé. Scratchy arrête de tirer, Cassidy se retourne et me regarde je peux lire dans ses yeux “nous amènes tu vraiment là dedans ?” . J’avoue ne pas savoir quoi faire, elle l’a compris et s’allonge pour s’abriter des rafales. Il m'était arrivé d'affronter des conditions rudes mais jamais aussi intenses. J’ai perdu mon rôle de chef de pack une seconde, la perte de leur leader mène les chiens à la déroute. 

Planter mon ancre est l’assurance de ne jamais les faire repartir mais si moi habitué au froid suis en train de geler mes clients doivent commencer à souffrir. Je décide de m’arrêter, j’amène à mes clients des chauffes mains et en profite pour convenablement recouvrir le moindre centimètre carré de leur peau, de petits spots blancs sont visibles sur leur visage signes d'engelures alors que nous sommes dans ce blizzard depuis moins de 10 minutes. Je dois hurler tellement les rafales sont puissantes et incessantes. Je leur dis qu’on n’a pas le choix, il va falloir affronter ça et donner tout ce qu’on a pour pousser les traîneaux dans la grosse neige sinon les chiens n'avanceront pas. La visibilité est d’une dizaine de mètre, tous les chiens sont allongés, recroquevillés. Le moral des humains et des chiens est passé de 200 au zéro absolu en l'espace d'un instant. Un par un je les relève et les encourage, la plupart des queues sont toutes rentrées entre leurs pattes, certains tremblent mais je préfère voir les deux qui aboient prêts à repartir. À ce point les choses sont simples, si je ne leur montre pas mon enthousiasme on gèlera tous sur place. 

Je marche vers ma team, Scratchy me voyant arriver se relève, jamais je pensais pouvoir la voir se poser mais l’amour pour son humain lui fait remuer la queue et elle me donne un coup de langue. Un coup de langue dont je me souviendrai et me rendant la confiance nécessaire pour les faire tous repartir. Je dis à Cassidy que j’ai besoin d’elle pour nous sortir de là, on doit être un exemple pour les jeunes derrière. La communication avec le cerveau de ma team s'effectue toujours de la même façon : tête contre tête, elle assise moi à genoux lui grattant le cou. Scratchy reste sagement à coté me lançant son fameux "Wooo houuu houu" de famille signifiant "moi aussi, moi aussi". Si parfois elle est impossible à supporter je suis incapable de resister aux yeux de ma petite fofolle. Elle fait un bon pour me donner un coup de nez, donne un coup de langue à sa partenaire et tire fort sur la ligne prête à repartir. Je détache mon ancre leur demande d’avancer, mes jeunes wheel dog s’allongent, Celeste me fait son petit grognement de grand mécontentement. Je vais donc devant mes leader et avance avec eux leur disant “ne vous inquiétez pas, je suis là” dans des bancs de neige au dessus de mes hanches. Cassidy se secoue, je vois dans ces yeux et à son allure qu’elle est de retour, je lui lance un good girl, les lâche, ils partent seuls et je saute sur traîneau au passage. C’est grandiose de courir des chiens qui adorent ça, c’est autre chose de les forcer à avancer dans des conditions si intenses. Nous sommes maintenant reparti, le lien entre les chiens et moi est rétabli, nous ne voyons plus de difficultés mais uniquement une équipe qui avance pour quelques kilomètres de plus. Passé le canyon, dans la vallée adjacente il n’y a ni vent ni nuage mais un froid intense, le chiens sont tous de nouveau extrêmement enthousiastes. Jamais je n’ai été si pressé de mettre mes clients au chaud. 

Je resterai toujours impressionné de voir comment son propre moral influence toute la team et comment sa propre confiance se transmet aux chiens. Ils savent maintenant qu’on peut sortir ensemble de situations inhabituelles si je reste moi-même à la hauteur. J’ai vu des mushers de haut niveau en larme après avoir totalement perdu cette confiance lors de moments difficiles et voir cette baisse de moral affecter toute l'équipe. Le bipède préfère se cacher pour que les chiens ne le voient pas dans ses moments de grande faiblesse. 



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