Monday, April 9, 2012

"I was born 1000 years ago"

Comme vous le savez, les forêts, les castors et le grand nord ont été les principales raisons de ma venue ici. Je pensais partir ici en "ermite" pour enfin vivre en accord avec mes pensées. Jouer à celui qui n'aime pas notre espèce c'est rigolo, mais je suis un homme de conviction qui s'efforce de vivre en accord avec ses paroles. Loin d'être naïf, j'avoue pourtant sans aucun souci avoir foncé tête baissée dans cette belle utopie, pouvoir laisser tout tomber, vivre suffisamment loin de cet animal si laid et stupide pour enfin pouvoir vivre heureux avant de devenir trop aigri (à moins que je ne le sois déjà ?).  Malgré cela, j'aime construire ma "philosophie" sur des bases solides que sont la connaissance et la capacité de se remettre en cause en permanence ; ce qui m'a naturellement poussé à combler mon ignorance quant à la (les) culture(s) du pays, son histoire...

En tant que "maudit français" débarquant au Québec, comment faire autrement que de me pencher sur le plus flagrant : cette histoire de français et d'anglais, ces éternels ennemis qui ont attendu le XXe siècle pour enterrer la hache de guerre. Si on se penche un peu sur l'histoire (à une échelle humaine) guerres et colonisations représentent certainement le summum des atrocités dont nous sommes capables et il faut bien l'admettre, ces deux peuples restent des champions planétaires dans ces  catégories (avec nos amis hispaniques ne les oublions pas :p ). Les cicatrices sont présentes partout sur la planète et il faudrait être aveugle pour ne pas les voir. 

"Le Canada compte plus de 55 nations fondatrices alors que seuls 2 ont été officiellement retenues"
- Olive Dickason 

Plus je comblais mon manque de connaissances, plus ceux qui sont vus dans les livres d'histoire  comme des acteurs de second plan dans notre conflit franco-anglais ont pris de l'importance. Le nom qu'on leur a donné est lui même une erreur monumentale de l'histoire : les indiens. Fermez les yeux et que voyez vous quand on dit indien ? De belles grandes plumes, des danses autour d'un feu, des tipis... Comment enlever cette image si réductrice ? Méthode simple et flagrante : on peut choisir d'aller dans ces réserves (rien que ce mot et leur nom avec numéro me fait froid dans le dos), zones de non droits, où le trafic est roi, et où les plumes (que j'avais bêtement en tête) ont été troqué contre des bouteilles d'alcool. Mais on ne peut parler d'histoire si on ne regarde que le début et la fin.

Les cultures aborigènes (attention avec ce mot !) du Canada, c'est plus de 50 langues différentes, langues (et cultures) aussi différentes que l'anglais et le chinois et au final l'image que nous avons de l'indien représente de façon caricaturale qu'une seule de ces cultures. Ils étaient là bien avant que le  "petit-cul" pousse son cri dans son étable à Bethléem (ou à Nazareth ?), bien avant que les égyptiens n'érigent leur pyramide. Ils n'ont pas attendu que les Vikings ne parlent de leur présence sur ce nouveau continent pour exister et traverser les millénaires.

"Quand l'homme blanc est arrivé, nous avions la terre et ils avaient la bible. Maintenant ils ont la terre et nous avons la bible."
- Dan Georges

Pourquoi en sont-ils arrivés là ? Voilà un sujet presque tabou ici. Personnellement je ne peux pas omettre notre responsabilité dans tout ça. Mais cela est-il suffisant pour l'expliquer ? Dans ce pays d'immigration il demeure ces premières nations souvent mises complètement de côté. J'ai énormément de compassion pour eux, mais j'ai fait l'erreur de le dire une fois je ne la ferai plus... J'essaie de comprendre en me mêlant à eux mais je marche sur des oeufs en permanence. Comme si les codes du langages et des échanges sociaux étaient totalement différents avec eux. Parfois je ressens de la haine à mon encontre, le sentiment que j'ai fait une grosse erreur de vouloir en savoir plus, que je n'ai simplement pas le droit d'être triste en regardant cette histoire. Mais d'autres fois je me retrouve à manger de la tête d'orignal et échanger avec eux, et ça vaut tout l'or du Yukon à mes yeux.

Plutôt que de continuer à divaguer pour aller nul part, comment mieux expliquer cela qu'avec cette célèbre lettre de Dan Georges, nom anglicisé de Geswanouth Slaholt (1899-1981) qui sert de référence quand on parle des amérindiens, du développement du Canada encore plus au nord. Chef de tribu connu pour son combat pour la reconnaissance des amérindiens mais également pour avoir donné la réplique a Dustin Hoffmann dans  Little Big Man.

Je suis né il y a mille ans
"Mes très chers amis,


Je suis né il y a mille ans, né dans une culture d'arc et flèches; et dans l'espace d'une demi-vie humaine, je me suis trouvé dans la culture de l'âge atomique, mais d'arc, et flèches à la bombe atomique, il y a une distance plus grande que le voyage vers la Lune.



Je suis né à une époque qui aimait les choses de la nature et leur donnait de beaux noms comme Tessoualouit, au lieu de noms desséchés comme Stanley Park. Je suis né à une époque où les gens aimaient toute la nature et lui parlaient comme si elle avait une âme.



Je me souviens qu'étant très jeune, je remontais l'lndian River avec mon père. Je me le rappelle admirant le soleil qui se levait sur le mont Pé-Né-Né ; il lui chantait sa reconnaissance, comme il le faisait souvent, avec le mot indien " merci " et beaucoup de douceur.



Et puis, du monde, est venu, de plus en plus de monde, comme une vague déferlante, et je me suis soudainement trouvé au milieu du 20e siècle. Je me suis trouvé moi-même et mon peuple flottant à la dérive dans cette nouvelle ère ; nous n'en faisions pas partie, engloutis par sa marée saisissante, comme des captifs tournant en rond dans de petites réserves, dans des lopins de terre, honteux de notre culture que vous tourniez en ridicule, incertains de notre personnalité et de ce vers quoi nous allions.



Pendant quelques brèves années, j'ai connu mon peuple vivant la vieille vie traditionnelle, alors qu'il y avait encore de la dignité. Je les ai connus quand ils avaient une confiance tacite dans leurs familles et qu'ils avaient une certaine notion de ce qu'était le cheminement de leur vie.



Malheureusement, ils vivaient dans l'agonisante énergie d'une culture qui perdait graduellement son élan vital. Nous n'avons pas eu le temps de nous ajuster à la croissance brutale qui nous entourait ; il semble que nous ayons perdu ce que nous avions sans que cela soit remplacé. Nous n’avons pas eu le temps d'aborder le progrès du 20e siècle, petit à petit, ni de le digérer.



Savez-vous ce que c'est que d'être sans pays ? Savez-vous ce que c'est que de vivre dans un cadre laid ? Cela déprime l'homme, car l'homme doit être entouré de la beauté dans laquelle son âme doit grandir.



Savez-vous ce que c'est que de sentir sa race écrasée et d'être acculé à prendre conscience qu'on est un fardeau pour le pays ? Peut-être n'étions-nous pas assez malins pour apporter une participation pleine de signification, mais personne n'avait la patience d'attendre que nous puissions suivre. Nous avons été mis à l'écart parce que nous restions sans réagir et incapables d'apprendre.



A quoi cela ressemble-t-il de n'avoir aucun orgueil de sa propre race, de sa famille, aucun amour-propre, aucune confiance en soi ? Vous ne pouvez pas le savoir parce que vous n'avez jamais tâté cette amertume. Mais je vais vous le dire : on ne fait aucun cas du lendemain, car qu'est-ce que demain ? On est dans une réserve, c'est-à-dire dans une sorte de décharge publique parce qu'on a perdu dans son âme tout sentiment du beau.



Et maintenant, vous me tendez la main... et maintenant, vous me demandez d'aller à vous. « Viens et intègre-toi ! » c'est ce que vous dites. Mais comment venir ? Je suis nu et couvert de honte. Comment venir avec dignité ? Je n'ai pas de présence, je n'ai rien à donner. Qu'appréciez-vous dans ma culture- mon pauvre trésor ? Vous ne faites que le mépriser. Vais-je venir à vous comme un mendiant et tout recevoir de votre main toute-puissante ?



Quoi que je fasse, je dois attendre, trouver des délais, me trouver moi-même, trouver mon trésor, attendre que vous désiriez quelque chose de moi, que vous ayez besoin d'un quelque chose qui est moi. C'est alors que je pourrai dresser la tête, dire à ma femme, à mes enfants : « Ecoutez, ils m'appellent, ils me veulent, je dois y aller. »

Alors, je pourrai changer de trottoir, la tête haute, car j'irai vous parler sur un pied d'égalité. Je ne vous mépriserai pas pour votre paternalisme, mais vous ne me ferez pas l'aumône. Votre aumône, je peux vivre sans elle, mais ma condition humaine, je ne saurais vivre sans elle. Je ne ferai pas de courbettes devant vos aumônes. Je viendrai avec dignité ou je ne viendrai pas du tout. Vous employez le grand mot d' " intégration " dans les écoles. Cela existe-t-il vraiment? Peut-on parler d'intégration avant qu'il y ait l'intégration sociale, celle des cœurs et celle des esprits ? Sans cela, on a juste la présence des corps, les murs sont aussi hauts que les montagnes.



Accompagnez-moi dans la cour de récréation d'une école où l'on prétend que règne l'intégration. Voyez comme son asphalte noire est unie, plate et laide; alors, regardez : c'est l'heure de la récréation, les élèves se précipitent par les portes. Voilà alors deux groupes distincts : ici, des élèves blancs et là-bas, prés de la barrière, des élèves autochtones.



Et puis, regardez encore, la cour noire, unie, ne l'est plus : les montagnes se dressent, les vallées se creusent; un grand vide s'établit entre les deux groupes, le vôtre et le mien, et personne ne semble capable de le franchir.



Attendez, bientôt la cloche va sonner et les élèves vont quitter la cour. Le mélange des élèves se fait dedans parce que dans une classe, il est impossible de trouver un grand vide, les êtres sont devenus petits, rien que de petits êtres; les grands, on n'en veut pas, du moins, pas sous nos yeux. .



Ce que nous voulons ? Nous voulons avant tout être respectés et sentir que notre peuple a sa valeur, avoir les mêmes possibilités de réussir dans l'existence, mais nous ne pouvons pas réussir selon vos conditions, nous élever selon vos normes, nous avons besoin d'une éducation spéciale, d'une aide spécifique pendant les années de formation, des cours spéciaux en anglais, nous avons besoin d'orientation et de conseils, de débouchés équivalents pour nos diplômes, sinon nos étudiants perdront courage et se diront: « A quoi bon ! »



Que personne ne l'oublie: notre peuple a des droits garantis par des promesses et des traités. Nous ne les avons pas demandés et nous ne vous disons pas merci. Car, grand Dieu, le prix que nous les avons payés était exorbitant : c'était notre culture, notre dignité et le respect de nous-mêmes. Nous avons payé, payé, payé jusqu'à en devenir une race blessée, percluse de pauvreté et conquise.



Je sais que dans votre cœur, vous voudriez bien m'aider. Je me demande si vous pouvez faire beaucoup. Eh bien! oui, vous pouvez faire une foule de choses. Chaque fois que vous rencontrerez mes enfants, respectez-les pour ce qu'ils sont : des enfants, des frères. "



- Dan Georges - UNESCO Courier



Je ne suis pas venu ici pour cela mais je ne serai pas loin de la vérité si je disais que maintenant ce sujet me préoccupe autant que les castors. Et je préfère (re)mettre en garde l'ignorant adepte des généralités et des amalgames qui me résumerait ces cultures aux alcooliques qu'il a croisé en sortant de la bouche de métro. Il  pourrait bien retrouver son scalp dans son assiette. 

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