Saturday, April 7, 2012

Un orignal et ça repart

En quête d'un élément "motivateur" qui tarde à se présenter, je travaille tous les jours en attendant mon jour de repos et quand ce dernier arrive le moral redescend encore un peu plus. Flemme de sortir, fatigue dès le premier coup de pédale, temps affreusement long. Il m'arrive de me préparer pour la ballade de la journée, je sors 5 minutes fais demi-tour et retourne dans ma grotte. Pour couronner le tout j'ai reçu une lettre des services d'immigration avec l'intégralité de mon dossier retourné pour "refus de paiement"... Trois mois que j'attendais une réponse mais je l'imaginais un peu plus positive.


Trop de doutes, et toutes les questions aussi banales que :
"Pourquoi immigrer ?", "Pourquoi le Canada ?", "Mon avenir est-il plus prometteur ici ?", "N'ai je pas simplement succombé à un caprice ou à un effet de mode ?", "N'est-il pas trop tard pour tout recommencer ?", "Pourrai-je rebondir ?" ne trouvent plus de réponses. Tout bien réfléchi, je ne suis pas fait pour ça, le voyage c'est bien, l'immigration c'est autre chose qui devrait être réservée aux populations plus nécessiteuses. Je pensais être suffisamment motivé mais je dois me rendre à l'évidence, j'ai fait fausse route jusqu'à maintenant. Je prépare ma lettre de démission et regarde les prix des billets d'avion pour la troisième fois en quelques mois. Ma famille et ma louloutte ne sont qu'à 600$ de chez moi. Au fond de mon trou c'est finalement la seule petite lumière que j'aperçois. Que fais-je encore ici ?

Sortir dans un bar n'a jamais été mon truc, encore moins tout seul. Pour moi, si cela arrive c'est que j'ai touché le fond. Mais ce soir, sans grande envie, je décide tout de même d'aller en ville écouter un peu de musique et prendre l'air. Après tout ce n'est pas en restant enfermé que je vais retrouver le sourire. Assis, en tête à tête avec cette bière qui ne descend pas, même ce bon groupe de rock ne me fait plus secouer la tête comme à mon habitude. Je reste une vingtaine de minutes, propose ma bière à un assoiffé du bar et décide de rejoindre un petit bar plus "tranquille" qui est considéré par beaucoup comme celui à éviter. Repère des first nations, rien que ce terme suffit pour effrayer un bon nombre de personnes. J'ai pourtant passé quelques bonnes soirées là bas, en guise d'au revoir et sachant que ce soir c'est soirée "pathétique karaoké" je me retrouve dans leur repère pour une soirée "troisième âge". Qu'est ce que je fais ici ?

Une première personne bien éméchée m'accoste, me secoue assez violemment et me fait vite remarquer que je suis le seul blanc. Une seconde, en veut à mon porte monnaie et a pensé voir Crésus débarquer chez elle. Bonne poire, je ne leur refuse pas grand chose, et me fait traiter par certains de tous les noms avec le sourire.  Une vieille mamie me tire par le bras pour m'amener sur la piste de danse mais là encore ce n'est pas mon univers... Qu'est ce que je fais ici ? Espérais-je réellement me ressourcer ici ? J'ai besoin de parler mais ce n'est pas eux qui vont tendre l'oreille pour écouter mes histoires d'immigration (invasion ?), je garde donc un peu de pudeur et laisse ces charmantes personnes s'amuser entre elles. Je n'ai rien à faire ici.

En sortant je rencontre un habitué avec qui j'ai déjà un peu échangé et curieusement il me pose beaucoup de questions Je lâche le morceau avec un léger arrière goût de complainte. Il me coupe en plein milieu de mes explications pour glisser un "C'est la pleine lune ce soir !" ce à quoi il ajoute "Vu l'heure je suppose que tu as déjà mangé ? Sinon voudrais tu te joindre à nous ?". Sans vraiment savoir pourquoi, j'accepte l'invitation...

Un repas de "fête", essentiellement des personnes âgées dirons nous. Au menu de l'orignal... enfin de la tête d'orignal. J'en avais entendu parler, je sais que ces amoureux de la nature ne jettent rien d'un animal qu'ils ont tué par simple respect. Je sais également que refuser d'y goûter est une offense, j'avale sans trop penser à ce que c'est (le museau me semble-t-il), on me regarde bizarrement comme pour vérifier que j'avale bien le tout... Puis s'en suit un très grand nombre de questions sur les raisons de ma venue ici. J'ai toujours la  même réponse à cette question  : L'amour des castors, l'amour du nord, l'amour de la nature, le sentiment presque mystique d'être dans un des derniers endroits au monde encore un peu préservé qui doit être défendu à tout prix de l'avidité humaine. Evidemment, cela a une toute autre signification  pour eux que pour les rednecks fous de la gâchette qui m'avaient posé cette question jusqu'à maintenant.

Je n'ai pas eu le droit aux rires moqueurs habituels ou au si véridique "Tu t'es trompé de pays man" . La réponse classique est plutôt dans le registre "Je suis ici pour faire de l'argent", "Je suis ici pour l'or" mais comme si ils étaient capables de lire la sincérité de mes propos, la mamie danseuse me prend dans ses bras et me dit : "Si seulement plus de monde pouvaient avoir ce genre de motivations... mais au risque de te décevoir tu ne vaudras jamais de l'or aux yeux des canadiens" cette triste réalité a délié encore un peu plus ma langue. Toute l'histoire du pays que je parcours à travers  une dizaine de livres, tous les carnages qui ont été fait et ceux qui se préparent tranquillement pour le grand nord, et le fait d'être ici, avec ces gens qui vivent si proches de la nature depuis la nuit des temps, qui ont vu leurs peuples se faire massacrer/parquer/déplacer/violer/humilier dans des proportions si grandes que les deux moustachus tristement célèbres du siècle précédent réunis n'ont pas réussi à égaler... tout ceci s'entre-choque vivement dans ma tête. J'ai profondément honte d'oser dire que je n'ai pas le moral.

Que fais-je ici ? Je n'ai toujours pas de réponse précise. Même si mes proches me voient immigrer dans un pays où l'avenir économique  est plus prometteur que sur le vieux continent ceci est très très loin de mes motivations. J'oserai même dire que cet avenir soit disant prometteur a était une des raisons de ma volonté de retour. S'il est plus prometteur ce n'est pas pour une prise de conscience inespérée de l'espèce humaine mais simplement parce qu'il y a encore de la nature à piller, des montagnes et des forêts à raser. Comme cette vieille dame m'a dit : "Ce qui importe ce n'est pas ton histoire de papier mais que tu dises autour de toi ce qui se passe ici". Je repars de cette soirée remotivé, avec un gros sac rempli de saumon, et je re-prépare mon fichu dossier pour cette sombre histoire d'immigration. Jamais en France je n'aurai ce genre d'échanges, jamais je n'ai autant appris sur moi qu'ici. Il me reste encore tellement de chose à découvrir que je ne peux décemment pas baisser les bras maintenant. 



4 comments:

  1. Toi, t'as été au 98 !

    Sinon bel article avec une dose d'auto reflexion sur l'effet boomerang.

    Je like, comme d'hab.

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    1. 15m après le 98 :)
      Merci à toi, dernier lecteur de ce blog.

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  2. Rock Pub powa! Zut, je t'aurais bien accompagné ce jour-là...toi qui m'accompagnait toujours quand mon moral vacillait vers le bas... ça m'manque tout ça !!!

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    1. Je ne te raconte même pas les karaokés mythiques que tu as manqué :p
      Content de te revoir par ici et bonne suite d'aventureS.

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