Saturday, August 4, 2012

De Cheechako à Sourdough ou la découverte de Robert W. Service

Un Cheechako est un nouvel arrivant dans le grand nord, un bleu, et ce mot entraîne tout un tas de connotations plutôt péjoratives. J'ai été Cheechako et traité comme tel tout au long de ma première année au Yukon. La tradition veut qu'un Cheechako faisant une boucle entière des 4 saisons devienne un fier Sourdough. Il a bravé le froid, il pêche, chasse, fait du kayak : c'est un habitant du grand nord canadien ou de l'Alaska. Le sentiment que j'ai pu décrire ici en ce deuxième dimanche d'avril, en sortant de l'hiver, cette sensation d’être sorti d'une grosse bataille indemne aura été pour moi le basculement du coté obscur (ou éclairé ?) du grand Nord.


Ceci découle de la tradition populaire, on pourrait vaguement le décliner un peu partout dans le monde mais il y a véritablement quelque chose de spécial ici. Je me souviens encore des regards de ces combattants de l'hiver sous les premiers rayons de soleil. Les petits sourires de ces inconnus qui semblaient vouloir dire : "Ca y est, tu l'as fait ! ". Ou le retour de Philippe après sa fuite hivernale "Tu es un Sourdough maintenant" (d'autant plus qu'une autre croyance populaire veut qu'un hiver passé dans sa maison est un hiver qui compte double...). Si Sourdough est un vétéran je ne me sens pourtant pas moins toujours aussi novice et ma soif de connaissance et d’expérience risque de toute façon de ne jamais être assouvie.

Le Yukon a tout simplement quelque chose de mystique. Cet inexplicable est, paradoxalement, compris et ressenti par tous ses habitants. Chacun a son histoire, ses raisons d’être venu et de rester ici, personne n'arrive à mettre des mots précis sur cette attirance qui, pourtant, se confirme et grandit de jour en jour. Il ne s'en passe pas un sans qu'un Cheechako me demande  "Mais qu'est ce que tu fais ici ?", "Qu'est ce que tu aimes tant ici ?" ce à quoi je ne trouve pas d'autres réponses que "Je voulais aller au nord, j'aime le froid et les gens sont cool" tout en sachant que je suis au sud du sud du nord, que le froid c'est dans la tête et qu'il est fort possible de se faire insulter sans raison au détour d'une rue. En revanche répondre a ces mêmes questions mais venant d'un autre Sourdough par un simple "L'amour du grand Nord" se passera de tout autre remarque et sera compris à sa très juste valeur.

J'ai l'envie de pouvoir décrire et expliquer, tout en sachant que la seule véritable  façon de le comprendre est de le vivre par soi-même, vierge de toute attente et à priori. C'est ainsi que je suis venu, j'ai pris soin de ne rien lire et de ne surtout rien prévoir. Avant de tomber amoureux de Dawson je ne connaissais même pas son existence, ni l'importance historique du Gold rush, ni ce nom de la Dempster hwy... j'ai tout découvert petit a petit. Et je continue cette decouverte en me penchant sur tout ce qui peut faire partie du folklore local.

Trois auteurs célèbres sont passes par ici et Dawson exhibe fièrement leur cabine (ou plutôt cabane). Jack London, Robert W. Service et Pierre Berton. Le premier est évidemment le plus connu surtout du publique francophone étant donne qu'il me semble être le seul à avoir  été traduit. Bien que n'ayant jamais eu d'attrait pour la lecture (ou plutôt la littérature) je me suis penché également un peu dessus et sur la vie de ces auteurs. Leur relation avec le nord, les raisons de leur venue ici, de leur succès... Et même par ce biais le mystique Yukon ressort de façon flagrante.

La vie de vagabond de London l'a amené  a ses 21 ans à suivre le Gold Rush du Klondike en 1898.

Service, cherchant sa place apres etre arrive au Canada, c'est vu offrir un poste comme banquier d'affaire en Colombie Britannique puis a été envoyé à Whitehorse en 1900.

L'inspiration leur est venue directement comme si l'influancant et inspirateur Yukon leur avait permis de trouver leur véritable voie.

Petite parenthèse Londonienne : accusé de plagiat et n'ayant jamais véritablement démenti en disant que "l'expression lui était bien plus facile que l'invention". L'histoire et le succès ne retiendront que lui pour "L'appel de la foret" ou "L'amour de la vie" mais ces autres écrivains anonymes mais pas moins inspirés par l’étrange Dawson city auront eu tout de même l'honneur de recevoir une lettre de remerciement du grand Jack après le succès commercial de ses (ces ?) livres.  Mais ne détruisons pas un mythe ici...

Buste de R. Service a Whitehorse
Quant à mon nouvel ami Robert, connu comme "le barde du Yukon", bien que ne pouvant pas passé à côté de son emprunte laissée un peu partout dans le Yukon, je ne m’était jamais penché sur ses écrits avant le début de cette semaine. Lire en anglais est utile, intéressant mais fastidieux. De plus ses célèbres écrits sont essentiellement des versets. Avec mon piètre vocabulaire, la poésie anglophone me paraissait bien trop difficile à assimiler ou du moins à comprendre. Pourtant on y trouve tout ce qui qualifie le Yukon, écrit d'une façon sublime. Le nord, ses saisons particulières, son soleil, son ciel enflammé, son or qui n'est pas seulement ce minerai jaune, le silence, ses histoires farfelus, ses femmes aventurières, ses hommes crasseux... Ses deux premiers recueils sont Songs of a Sourdough et Ballads of a Cheechako.   

Son tout premier poème, et l'un de ses plus célèbres, est "The shooting of Dan McGrew" et Robert W. Service raconte comment cette idée lui est venue. Alors qu'il participait activement à la vie sociale de la toute jeune Whitehorse (moins de 10 ans que la ville a été créée) en contant des célèbres poèmes américains (encore maintenant connus de la plupart des américains et canadiens ou du moins de ceux faisant du théâtre) il rencontra l’éditeur du Whitehorse Star (un des deux journaux encore existants à Whitehorse) qui lui demanda d’écrire un poème sur leur petit bout de terre perdu dans le nord. Un soir en rentrant de son travail en entendant crier les gens dans les bars, une phrase surgit dans sa tête "A bunch of the boys were whooping it up". Il retourna à la banque pensant pouvoir  travailler tranquillement sur son idée, un autre employé le prit pour un voleur et lui tira dessus mais le manqua. "La muse", comme il appelait ses révélations yukonnaises, l'aidant à écrire et l'inspirant, continua donc à l'aider cette nuit et le lendemain matin un de ses plus célèbres poèmes fut termine. 

Premiers vers d'un de ses plus célèbres poème. Juste en face du restaurant ou je travaillais à Dawson
Petite parenthèse linguistique : "muse", comme nom, se traduit par muse (uh uh c'est des fois un peu trop compliqué pour moi l'anglais) mais peut aussi bien être le verbe qui signifie "méditer", "réfléchir", "songer", "rêver" et mes rêveries solitaires se traduiraient par "musing".

J'ai aussi des révélations, ou du moins des signes parfois très étranges, voir déstabilisants. Plutôt que de me lancer dans une traduction qui risquerait d’être une injure à la poésie, voici ma dernière coïncidence troublante. Ma famille sait à quel point j'aimais les Tex Avery, ils sont pourtant souvent plein de clins d’œil à une culture qui nous est souvent trop éloignée pour être connue et encore maintenant, grâce à la découverte de M. Service et de ce célèbre poème, voila la version du dieu Droopy et le loup que vous connaissez certainement :The shooting of Dan MacGoo. Inutile de vous dire que cette version est grandement détournée  mais l'essentiel y est : le nord, l'ambiance de bar, deux hommes... et une demoiselle que l'on connaissait sous le nom Lou (Louloutte ?). J'aime trop la dérision pour passer a cote de cette remarque Tex-averesque :)

Ses poèmes nous permettent de boire du Yukon a grande gorgée. Sa vie montre comment il était attaché à ces lieux magiques et comment il a su améliorer son art grâce à l’atmosphère si particulière, aux gens (qui sont tous des personnages ici), la vie dans le grand nord... C'est amusant d'aller se balader à Miles canyon (l'attraction touristique de Whitehorse), de s'y ressourcer un jour sans trop de touriste, et d'apprendre le lemdemain tout ce que la vue sur ce canyon a pu lui inspirer (son célèbre "The call of the wild" lui vient directement de cette vue).

Miles Canyon, à quelques pas de la maison.

Petite parenthèse Miles canyonienne : Au début du Gold rush, la Yukon river était impraticable justement à cause de ces canyons que l'on appelait "White horse rapids" (à cause des énormes remous blancs des rapides). Une fois la rivière domptée, elle fut un moyen bien plus sur que le Col Chilkoot pour approvisionner l’arrière pays encore atteint de la fièvre de l'or. La ville de Whitehorse est née. 


Cabane de R. Service à Dawson city
Malgré son immense succès il a continué son travail de banquier sur Whitehorse en s'inspirant des prospecteurs et de leurs histoires sur Dawson. 8 ans plus tard il a finalement rejoint cette ville pour la première fois (10 ans après le gold rush) comme banquier dans un premier temps mais il a finalement abandonné son travail, s'est acheté sa cabine pour se consacrer pleinement à l’écriture. De brefs voyages notamment en France à Paris et sur la cote d'azur. Un dernier bref  et dernier retour à Dawson en 1912 pour écrire son troisième recueil de poésie puis retour dans la capitale française. Il se marie à une parisienne et achète une maison de vacances à Lancieux dans les Cotes d'Armor. 

Pour la suite je vais essayer d’être bref vu que la période Yukon est définitivement finie.  Mais vu que ça parle de France autant continuer l'histoire :)

Pendant la grande guerre il est chauffeur d'ambulance pour la croix rouge (comme un grand nombre d'auteurs de l’époque désireux de s'engager mais reformés pour des raisons de santé, Hemingway est l'un des plus célèbres). Cette période l'influencera énormément pour ses écrits à venir. 

Il est ensuite allé en URSS s'est mis aux écrits satyriques à propos du communisme et du nazisme. La seconde guerre devint imminente il décida de retourner avec sa famille aux États-Unis peu de temps avant l'invasion allemande. Les nazis sont allé à Lancieux chercher Service personnellement et ont rasé sa maison de vacances.

Après la guerre il retourne à Paris, il est connu comme l'auteur le plus riche de la capitale mais aime s'habiller tout à fait ordinairement et déambuler dans les rues pour chercher l'inspiration en se mêlant à la populace. Bien que sa famille décide de voyager pour visiter le Yukon, l'auteur n'a jamais voulu y retourner. Dawson est devenue une ville fantôme et Service voulait garder ce qu'il avait en tête. Il sera très prolifique pendant cette période. Pierre Berton le rencontre en tant que journaliste radio et enregistre un grand nombre de récits autobiographiques. Service meurt à Lancieux en 1958 dans sa maison qu'il avait nommée "Dream haven" et a été enterré dans le cimetière communal. Lancieux est jumelée à Whitehorse.

Pour les curieux, étant tombé (aïe) dans le domaine public, on peut retrouver un très grand nombre de ses écrits  ici : Wikisource : Robert W. Service.

3 comments:

  1. Mon poème préféré de R.Service "the trail of no return"

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    1. Ravi de te voir par ici, un humble aventurier comme il serait bon d'en croiser plus souvent. En tout cas si jamais un jour tu repasses par le Yukon et que d'ici la je suis libre c'est avec grand plaisir que je t'embarquerai en canoë :p . Merci pour ce magnifique poème, je ne le connaissais pas, il m'en reste encore beaucoup à lire :)

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  2. Ok pour le canoë, je prends note mais je te laisse t'entraîner encore un peu :)

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