Thursday, July 19, 2012

Travail et coup de griffe

Un post qui passera sûrement comme un auto-envoi de fleurs pour ceux qui ne me connaissent pas, mais je sais que mes proches me reconnaîtront bien plus qu'un petit peu dans les paragraphes a venir. J'ai toujours eu énormément de facilité à parler de mes indénombrables défauts, en revanche  je me suis toujours demandé si j'avais des qualités et quand j'en soupçonne une je lui trouve systématiquement suffisamment d'aspect négatif pour la tourner en défaut. Il n'y a qu'un seul domaine où je peux fièrement  les mettre en avant : le monde du travail.


Je me qualifie d’acharné du travail mais ce mot reste encore trop faible à mon goût. Si beaucoup travaillent pour gagner leur vie je peux affirmer et sans démagogie que ma motivation n'a jamais été l'argent mais je me suis efforcé tout au long de mes expériences professionnelles de rectifier cela. J'aime tout faire et plus particulièrement me servir de mes mains, les boulots dits intellectuels sont prenant également mais sûrement un petit peu trop pour mon neurone. Par dessus tout, ce qui me motive c'est d'apprendre, faire quelque chose de nouveau, puis d'optimiser au maximum mon rendement tout en conservant la qualité de mon travail. Il faut vraiment que j'y aille fort pour parler de "qualité de mon travail" vu l'exigence sans fin que je m'impose. 

Je ne suis heureux que si je bats des records d'heures au travail, quand j'effectue les taches de 2-3 ou 4 autres travailleurs où celles que personne ne veut faire (particulièrement les crades ou dangereuses). Il faut que je finisse sur les rotules et que je mette les bouchées doubles le lendemain. Pour cela je transforme mon stress en nervosité et ma nervosité en efficacité. Rien ne me déplaît plus que de me sentir inutile ou qu'on me demande quelque chose de contre-productif, aberrant et même si cela s'inscrit dans les règles de la maison. Là, ma nervosité devient une bombe pour faire exploser cette maison et ses habitants.

Comme vous vous en doutez un petit esclave si productif a plu à absolument tous mes boss. Leur plaire n'a jamais été non plus un but même si mes collègues de travail ont pu souvent me voir comme un petit lèche bottes, je n'ai jamais caressé un seul de mes patrons dans le sens du poil et souvent même bien au contraire. Par chance mon dévouement a toujours été reconnu et m'a souvent permis de dire ce que je pensais même si cela pouvait aller totalement a l'encontre des intérêts de mon patron. J'ai même plus souvent vu ces derniers remettre en cause leurs directives ou leurs jugements plutôt que l’employé que je suis. Bien que cela soit une mode dans le monde du travail je ne suis pas un anti-patron, bien au contraire.

Mon premier facteur limitant sera l'ambiance de travail. Je ne suis pas dans ce monde pour me faire des amis, mais je suis des plus docile qu'il soit. Le "branleur" sera mon "ami" car grâce à lui ma charge de travaille augmente, le travailleur "normal" sera un modèle inatteignable pour moi, "l'acharné" (car évidemment je ne suis pas unique) ne sera qu'une motivation supplémentaire pour en faire plus sans y voir un quelconque esprit de compétition. On pourra toujours me demander ce qu'on veut avec l'assurance d'un oui. Du remplacement, à l'aide en passant par la couverture et rectification voir l'endossement des fautes. Pour que tout cela se passe bien et être sur que je n’écrase personne, j'ai toujours mon costume de clown fou et stupide. Il ne me faut jamais longtemps pour voir mes collègues pleurer de rire avec mes pitreries incessantes sans néanmoins perdre en productivité bien évidemment.

Le second facteur limitant est souvent fatal : dès que j'ai fait le tour du boulot et que mon optimisation a atteint les limites de la physique j'envoie tout balader. Je dis bien "la physique" et non "mon physique" car celui-ci est systématiquement nettement détérioré avec un tel acharnement. Travailler avec un membre cassé alors que je suis censé être arrêté (la grande époque Racamier), malade ou sans avoir dormi ne rajoutent qu'un peu de piment. Malheureusement ces excès de stupidité m'auront laisse un grand nombre de séquelles qui avec l'age ne font que grandir. Le tendon de mon épaule tout arraché n’était qu'une tendinite bénigne que j'ai laisse traîner et je me lève maintenant chaque matin avec une épaule complètement coincée, le défaut de mes genoux vient de mes filmages record de palettes qui nous aura permis de nous passer d'une cercleuse mécanique, la friabilité de mes dents de ce siphonnage de liquide de batterie (miam) à la bouche pour gagner du temps (ma stupidité est elle sans limite ça j'en suis convaincu)...  

Tout ce qui précède à été vrai dans tous mes jobs : du développement informatique au travail dans une décharge a ordure, sans oublier les saisons de fruits, la plonge; la hotline, la préparation de commandes et autres boulots d’intérim, le bénévolat... Bien sûr mon dernier boulot de monsieur sandwich n’échappe pas à la règle, et après bientôt 8 mois le premier facteur limitant est atteint. Me connaissant, j'ai pris soin de faire beaucoup d'effort pour me ménager étant donné que le second facteur limitant  m'est interdit. Mais, avec le temps, je me suis ameliore sur ce point, je vide maintenant mon sac sereinement sans que ca m'empeche de dormir où ne fasse monter mes pulsations

99% de mes collègues de travailleurs sont philippins. Loin de moi l'envie de systématiquement comparer mais je peux affirmer ne jamais avoir vu une aussi forte proportion de travailleur de la catégorie "acharnés". Il y a aussi des deux autres catégories mais tous me regardent avec des gros yeux quand je passe en mode turbo. Ces travailleurs ont quelque chose d'extra ordinaire. Si l’économie des Philippines est une économie montante de l'Asie c'est notamment grâce a ses millions de travailleurs expatries au quatre coins du globe (dans les pays dis riches) qui envoient l'essentiel du fruit de leur labeur à leur  famille encore au pays. Le partage culturel est souvent très intense et sera, sans aucun doute, la plus grande richesse de ce travail pour moi. En dehors de ça, je pense que quelque soit l'endroit (France ou Canada) et l'origines de mes collègues, les relations seront toujours des relations de bipède a bipède et auront par conséquent des limites très vites atteintes. Ma franchise parfois blessante ne se camoufle malheureusement pas toujours derrière ma docilité, il arrive donc ces derniers temps que des grands arcs électriques se produisent.
 
Phase 1: Prémisse d'une guerre annoncée
 
- Tu es croyant ?
- Absolument pas.Attention parler de religion ce n'est pas politiquement correct !
- (rires) Mais comment est-ce possible ? Tu as lu la Bible ?
- J'ai jamais réussi à finir ce livre ni le Coran d'ailleurs, je les trouve bien trop ennuyeux et je suis bien trop bête pour comprendre tous ces textes. Je pense que l'homme a invente des mythologies bien plus intéressantes.
- Mais ce n'est pas une mythologie. Tu pourras y trouver la vérité.
- Ce n'est pas la vérité mais ta vérité et je la respecte sans y adhérer. Si c’était La vérité on aurait arrêté de la chercher et tout le monde adhérerai à la même croyance ce qui n'est pas le cas. Il y a une expression que j'adore : "L'homme a créé des dieux, l'inverse reste a prouver"
- (rires) Mais tu ne crois pas en Dieu ?
- Si, j'ai un Dieu et il s'appelle Nature. L'homme a toujours eu besoin de ces croyances pour répondre a ses interrogations et pour se rassurer quant à la mort. Mes saints sont les asticots qui nous dévorent quand on nous enterre et ça ne va pas plus loin.
- Erk... Et donc tu ne vas pas a l’Église ?
- Si, mon église est la bas juste en face, au bord de la rivière a cote de la hutte de castor.
- (rires) Avant je n’étais pas croyante comme toi, mais j'ai entendu Dieu une fois a l’église.
- Moi je n'ai encore jamais entendu personne, en dehors des clients qui demandent des sandwichs bien sur...
- (rires) Tu devrais relire la bible.
- ... Et je le ferai si tu lis le Silmarillion. On peut aussi y trouver des réponses.

Une conversation qui passe comme si de rien n’était, les mains plongées dans cette viande caoutchouteuse prédigérée pour préparer nos portions. Mon ironie et mes phrases stupides sont connues de mes collègues de travail et ça les fait beaucoup rire, ça me permet de dire un peu n'importe quoi avec l'assurance qu'on me prenne toujours à la légère. Ainsi, je ne froisse personne. Ils sont tous très croyants, et comme beaucoup de catholiques (ou autre), j'ai toujours trouvé (comme pour la politique) qu'il s'agissait plus d'une étiquette qu'on souhaitait se coller mais en respecter les grands principes restait très optionnel.  La preuve avec une petite histoire quelques jours plus tard.

Phase 2 : "Aide ton prochain" qu'il disait

Alors que je m'occupe des sandwichs clients mes deux camarades de rire et de boulot discutent dans la cuisine depuis plusieurs minutes. Après en avoir fini avec mes affames je vais voir ce qu'il se passe.

- Hey Morgan, tu peux appeler le 911 ?
- Mais vous ne l'avez toujours pas fait ? Ca fait 15 minutes que vous êtes la pour parler de ça ?
- J'aime pas appeler, ils posent plein de questions. Va la voir elle est dehors et elle saigne.

Ca à beau être notre quotidien, je sors en sprintant pour voir l’état de cette nieme titubatrice. Elle est raide étalée par terre, elle est tombée du dock de déchargement prés de nos containers à poubelle. Une belle marre de sang, elle semble respirer mais ne bouge pas et ne répond pas. Je retourne a l’intérieur et appelle le standard pour réclamer une ambulance, réponds à leur 10aines de question par des "I don't know" systématiques. Son age, son nom son poids et tout un tas de renseignement dont je me fiche, tout ce qui compte c'est une ambulance et vite et je raccroche. Mon ton si souvent jovial change brusquement et je pousse une gueulante digne de la boule de nerfs que je suis sur mon collègue habituellement si fan de mes conneries. 

- Tu te fous de ma gueule ? Tu vois quelqu'un en train de mourir et tu attends pour appeler l'ambulance ?
Lui me répond en montrant les dents et sur un ton qui lui est si peu familier
- Hey, ils me posent toujours plein de questions !
- Et alors ? Tu es stupide ou quoi ? Tu réponds je ne sais pas et puis c'est tout.
- Moi je veux pas avoir de problème, c'est la police et ils demandent mon nom !
- Mais franchement... Tu crois qu'on va te mettre en prison pour ca ? Et si elle meurt tu pourras dormir sereinement ?
- J'en ai rien a foutre de ces gens, ils viennent tout le temps pour nous emmerder.
- Pfffff ce n'est que des pauvres gens (petit souci de compréhension il ne faut pas oublier qu'on parle en anglais et que c'est loin d’être notre langue)
- Ils ne sont pas pauvre mec, ils achètent plein de bière et de drogue  tout le temps.
- C'est bon laisse tomber !

Un froid glacial c'est installe dans le fast food, où notre troisième collègue japonais a préféré se cacher pour éviter tout conflit au milieu des deux furies. On laisse la température se réchauffer, l'ambiance est habituellement si géniale je m'excuse donc et lui aussi. Tres gêné je reviens tout de même sur cette histoire par un biais qu'il n'attendait pas.

- Dis moi, j'ai une question stupide mais j'ose pas trop, c'est pas très politiquement correct (petite connerie destine a ne pas paraître trop rentre dedans)
- (rires) Oui oui vas y.
- Tu es croyant hein ?
- Oui !
- Et on n'apprend pas la charité ? L'amour de son prochain ? Ne pas laisser quelqu'un dans le besoin ?
Loin d’être bête, il voit très bien ou je veux en venir
- Si, mais je ne vais pas respecter quelqu'un qui ne me respecte pas ! Et je ne leur fait pas confiance.
Pour mes collègues filipino malgré toute leur religion, First nation c'est avant tout ces clochards qui ne méritent rien d'autre que de la méfiance et du mépris et ils ne comprennent pas du tout la compassion que je peux avoir envers eux. 
- Moi je ne suis pas croyant, ça n'a d'ailleurs selon moi rien a voir  avec la religion c'est juste être humain, quelque soit la personne je ne vais pas la laisser mourante  devant moi. Je pensais bêtement qu'un catholique devait aider son prochain dans le besoin...En fait il n'y avait que mère Teresa....
- (rires) 
Ces derniers rires me rassurent grandement, mon message est passé et la bonne humeur est toujours la... Venir me dire ce que je dois penser mais ne surtout pas vivre en accord avec cette philosophie est l'art premier des croyants.

Phase 3 : L'argent, le nerf de la guerre
Ce mois ci j'ai fait péter le compteur d'heure. Je ne vérifie absolument pas les décomptes, les erreurs pourraient être faciles étant donné que, sans cerveau, j'oublie systématiquement de pointer. Ca aussi çà reste une habitude (ou non-habitude) dans tous mes jobs. Avant je n'ouvrait même pas l'enveloppe avant de la déposer à la banque mais ayant fait des efforts à ce sujet; je jette maintenant un coup d’œil rapide, la somme est plus grosse que d'habitude ça suffit pour me dire que tout va bien. J'ai du pain sur la planche et pas le temps de me lancer dans les calculs d'apothicaires qui motivent les travailleurs du monde entier chaque jour de paie. Dans tous mes jobs cette enveloppe a toujours été jalousement cachée par l'heureux (où pas) propriétaire mais tout le monde, atteint d'une curiosité maladive, aimerait savoir le montant de son voisin. Lorsque les montants ne conviennent pas, tous les subterfuges sont bons pour essayer de sous-tirer des informations.

Comme un cheveu dans le sandwich je m'exclame :
- Poum, 1200 piasses pour les deux dernières semaines ça c'est bon ! Ca compensera un peu mon appareil photo.
Le désarroi le plus total s'empare de mes collègues
- Mais comment c'est possible ? 
Même la petite chef n'a pas eu autant et tout le monde veut voir mon chèque.
- Bin j ai fait 98 heures. Et tu te souviens je t'ai remplace deux fois la semaine dernière pour que tu puisse aller te promener...
Je trouve ces envieux légèrement déplacés : quand quelqu'un veut travailler plus je laisse volontiers mon shift (même la boss ne comprend pas que je fasse ça), et quand quelqu'un veut être remplacé à la dernière minute c'est toujours à Momo la bonne poire qu'on s'adresse.

Mes deux autres compagnons de fermeture comparent leur chèque. Ils font exactement les mêmes horaires et il y a une différence de 4 heures supp. Pour calmer son mécontentement je lui dis :
- Oh bin ne t’inquiète pas tu iras voir la boss demain et ça sera rectifié. Des erreurs ça arrive.

Nous avons une journée extrêmement occupée, pas de temps a perdre avec ça alors que de mon cote je cours dans tous les sens. Pour la première fois je vois mon collègue habituellement acharné mettre un gros coup de frein. Seul devant une grosse file de client, monsieur est parti fumer sa clope et s'octroie 15 minutes de pause supplémentaire. Je vois bien qu'il est complètement démotivé par cette différence de 30$.
- Hey, on a du boulot, tu verras ca demain !
- Mais ce n'est pas juste, tu sais j'ai ma famille encore aux philippines à nourrir
- Ouep je sais, mais je ne t'ai pas force à avoir un gamin, et c'est pas à moi d'assumer ca en travaillant plus (boum... c'est sorti tout seul)
- Toi tu peux pas comprendre tu viens d'un pays riche
(coup bas ? ok j’enlève les gants alors)
- Toi même tu me dis tout le temps "si tu savais tout ce qu'on peut faire avec 1$ aux Philippines". Venir d'un pays riche ça veut aussi dire qu'on doit avoir beaucoup d'argent pour vivre.
- Non mais sérieusement j'ai des frais, la voiture...
(je le coupe)
- Bin si tu veux passe a la maison je peux te filer un vélo, t'habites pas plus loin que moi.
- Il fait froid, il pleut tout le temps.
(c'est fou comme 30$ peuvent soudainement amener autant de plaintes)
- Et oui VIVE LE YUKON... ça vous fait tous rigoler de me voir arriver trempe avec mon pantalon et mon blouson troués, mes chaussures aux semelles décomposées, ou de me voir arriver blanc givre pendant l'hiver. On fait des choix, moi je n'ai pas acheté de voiture et pas de blouson a 1000$...


Le gentil pitre est maintenant regardé différemment mais ne vous méprenez pas, tout le monde il est gentil, tout le monde il est beau, je ne regrette aucune de mes paroles et j’apprécierai toujours mes collègues de travail, eux sûrement un peu moins.

No comments:

Post a Comment