Tuesday, June 14, 2011

Les Monts Groulx

La nuit du vendredi au samedi se passera au kilomètre 335 dans un petit refuge aménagé par les amis des Monts Groulx. Ce massif couvre plus de 5000 Km², nous espérons faire la traversée sud nord, seule une toute petite partie est "balisée" et entretenue pour la randonnée (les premiers et derniers kilomètres). Le climat est réputé pour être très pluvieux et venteux, l'hiver il peut y faire -50°C (c'est le grand nord). Nous sommes près du solstice et relativement dans le nord donc les premières lueurs du jour s'observent à 3h du matin. Il parait que moins de 30 personnes par an en font la traversée. Cela fait plusieurs jours que nous nous renseignons sur la route (ou plutôt le cap à tenir) notre parcours prévoit de passer par le sommet de ce massif (le mont Veyrier), nous espérons faire ce trek en 4 jours bien qu'on m'ait conseillé de prévoir plutôt 5 ou 6 jours... Le tracé n'est pas une boucle, c'est à dire qu'il nous faudra trouver un moyen de rejoindre la voiture garée au début de notre parcours après avoir fait pas loin de 50Km de rando. On peut se dire que la distance est relativement courte si on prévoit de marcher à 5km/h. Malheureusement sur ce genre de terrain ce n'est pas si simple :)


Journée 1

La randonnée commence par une belle ascension en forêt avec un sol a base de boues et de flaques. Comme à mon habitude mon sac est trop lourd, peut être 10 kilos de trop. Quand on se retrouve en ville dans ce genre de cas ce n'est pas trop un problème mais quand on fait un trek en autonomie c'est une autre histoire... Dès la première heure de marche je me demande comment je vais tenir... Ce genre d'épreuve reste de toute façon, contrairement a ce qu'on peut penser, plus morale que physique. En effet les mal de pied, coup de barre ou fatigue, la faim, arrivent bien vite le reste ne se fait qu'à la motivation et en cherchant son second souffle rapidement. Une fois le premier sommet atteint, la vue sur le réservoir est magnifique mais on commence seulement à entrevoir les difficultés qui nous attendent. On quitte le chemin balisé, la vue sur cette route enfumée par le passage des camions qu'on distingue grâce au panache à des kilomètres de là. On remarque encore beaucoup de neige à l'horizon on constatera vite que cela représentera une grosse difficulté.



Les repas du midi seront rapides, 2 tranches de pain de mie avec du pâté et un fruit. Quand on commence ce genre de périple, il faut se rationner et être sûr de pouvoir tenir un jour ou deux de plus que prévus. Aucun secours ne peut être apporté ici, on ne croisera personne pendant notre périple. La descente du premier sommet aura été une difficile mise en jambe nous préparant à la suite. Des étendues de neige à traverser alors qu'on peut s'enfoncer facilement jusqu'au bassin, chargé comme des mules, risquant de passer au travers et de mettre les pieds dans les ruisseaux qui s'écoulent en dessous. On met parfois plus d'une heure pour parcourir 500 mètres, on ne peut pas faire un gros tout droit en se disant notre cap est là. Il faut soigneusement choisir son terrain et ne pas hésiter à faire d'énormes détours. Aux alentours de 17 heures après des montées et descentes plus qu'éprouvantes on décide de faire une pause, en ne sachant pas si on continuerait. Un petit café qui nous ravive et malgré le ruisseau a traverser et l'énorme barre rocheuse qui se présentent devant nous, on a préféré continuer notre route. C'est fou comme un petit café peut remotiver des troupes :)

On est déjà loin du petit parcours du début bien qu'en regardant la carte on a l'impression de ne pas avancer. Cette barre rocheuse était à la limite de l'escalade, une forte pente, un sol impraticable, parfois glissant ou des plaques de neiges qui s'écroulent. Le mode 4 roues motrices (les bras aident autant que les jambes à avancer et à ne pas tomber) a dû être enclenché par moment. Quand la difficulté est extrême on arrive à se demander ce qu'on fait là. Mais les couleurs de la toundra alpine sont merveilleuses et on se rend vite compte que rares sont les passages et les gens qui ont la chance de voir ça. De la mousse, des lichens à perte de vue, on marche dans une épaisse moquette trempée et on s'enfonce des fois jusqu'à la mi mollet dans ces mousses. Des teintes allant du vert, turquoise, rouge, jaune, orange avec des petit ruisseaux et des lacs de partout. Il y a aussi encore énormément de neige, presque autant que dans mes chaussures. Quand un gros bout de glace rentre dedans j'ai l'impression que mes pieds sont littéralement  en train de geler, au début je m'arrête pour enlever mes chaussures et réchauffer mes pieds mais je comprends vite que de toute façon je vais y avoir le droit tout le temps et rapidement je m'habitue à laisser mes pied geler.

Crevés on décide de s'arrêter prêt d'un cours d'eau et sur un sol relativement sec et plat... pas si facile que cela à trouver. On monte la tente, prépare à manger et on apprécie le couché de soleil. Malgré la difficulté on peut s'estimer heureux de ne pas avoir fait cette première journée sous la pluie.

La première nuit fût fraîche pour moi. Beaucoup de mal à correctement dormir, à trois heures il commence à faire jour et un peu plus chaud et à partir de là le sommeil devient plus profond et donc récupérateur. Dans ce genre d'expérience on se rend compte comme certaines banalités sont un luxe. Un bon petit café, une tranche de pain et une pomme au petit déjeuner alors qu'on rêve de ces bons lunchs canadiens avec des oeufs, du lard, du bacon, des pancakes au sirop d'érable, des bagels grillés au fromage. Mais la carte nous rappelle vite à l'ordre : si on veut finir la randonnée en 4 jours il faut avancer et à voir le chemin parcouru on peut s'inquiéter. On nous avait dit que le plus difficile était la première monté et qu'ensuite on ne verrai que du plateau... On s'est vite rendu compte que ce n'était pas tout à fait le cas.

Journée 2

La matinée de la seconde journée fût surement la plus éprouvante et démoralisante. Après une grosse avancée sur de la neige (qui dit neige dit encore pied gelés, mouillés mais surtout des calages dans la neige ou quelque fois je mets plusieurs minutes pour dégager mes jambes et m'imagine coincé ici à m'enfoncer. Nous arrivons face à une descente a pic, enneigée. Cette descente sur le Lac Magique restera un des moment fort de cette randonnée. Après un loupé de mon camarade il tombe et fini toute la descente en glissant je décide donc de faire de même. Faire une glissade sur les fesses dans un parc c'est marrant mais ici le moindre faux mouvement, pied mal placé, ou traversée de la couche de neige et c'est l'assurance de devoir finir le trek en boitant ou pire encore... Arrivé sur le lac encore gelé, nous avons mis pas loin de 2 heures pour le longer sur 500 mètres... Cela donne une idée du rythme d'avancement et de la difficulté à entreprendre une telle traversée. Nous espérons tout de même atteindre le sommet des Monts Groulx, le mont Veyrier, dans l'après midi mais on sait que cette monté sera au moins aussi difficile que cette descente.


Le sommet a été atteint vers 15h le dimanche. D'ici on ne voit ni route, ni réservoir mais la vue sur le massif est belle mais surtout terrifiante quand on voit ce qu'on a fait et le nombre de sommets, de cols, de descentes qu'il nous reste à faire, loin là bas à l'horizon. A ce moment précis nous nous sommes tout de même demandé si il était raisonnable de continuer. 


Pas de temps à perdre, il faut avancer, on peut se permettre de manger une petite barre de céréale pour se remotiver et en avant !!!! Bien que le terrain ne soit toujours pas facile on peut dire qu'après ce qu'on a traversé, rien ne nous fait peur et de toute façon notre choix a été fait, impossible de rebrousser chemin. C'est assez magnifique de passer sans arrêt entre la limite forêt et toundra. Je regrette déjà d'avoir pris une bonne partie de mon matériel photo et de ne pas en faire plus que ça... Mais quand on marche et qu'il faut sans arrêt s'arrêter pour tout sortir et faire une photo on perd trop de temps.

Mon genoux fébrile faisant grise mine on décide de s'arrêter. De plus il est de toute façon peu raisonnable de s'arrêter trop tard et de manger et monter la tente de nuit. L'avancement est tout aussi important que le repos. Malgré mon éternel envie d'en faire plus que la normale on essaiera d'être raisonnable ici. Ce n'est pas un GR de France... Nous sommes vraiment perdu loin de tout et en pleine nature... Espérons que cette seconde nuit soit un peu moins fraîche pour mon maigre duvet et que mes chevilles et genoux auront le temps de se remettre d'aplomb.


Journée 3

Voilà la moitié du trip passée. Grâce aux effort fournis en fin de journée la veille nous avons pu grandement voir notre trace avancer sur notre parcours. Cette journée ne devrait comporter que deux difficultés majeurs d'après la carte topographique mais bon je me méfie de ce genre de prévisions. On peut voir la raideur des pentes sur une carte mais on ne peut pas savoir si le terrain sera pratiquable ou si il faudra nous détourner de notre chemin pour avancer. A noter également que la plus grosse difficulté du second jour n'avait pas forcément était interprétée comme telle lors de la lecture de la carte... Donc, pessimiste dans l'âme, je préfère rester sceptique quant aux prévisions. Gardons le moral et voyons comment cela se passe...


L'avancée de cette journée se fait relativement bien, non pas parce qu'elle est particulièrement facile, loin de là, mais après les différentes épreuves traversées, se dire qu'il faut aller derrière la montagne loin à l'horizon pour ensuite descendre, puis en remonter une autre encore plus grande et redescendre et ainsi de suite, ça ne fait vraiment plus trop peur... Les passages en forêt sont quelque fois assez difficile mais magnifique. En plein dans la forêt de Fangorn, j'attends de croiser Sylvebarbe et qu'il m'emporte tel un petit hobbit à gros sac sur son épaule... Ou encore les petit sylvain de Princesse Mononoké. D'énormes mousse qui recouvrent de vieux arbres. Voilà le décors, je regrette vraiment de ne pas avoir fait de photo dans ces milieu là mais ça me donnera une raison de revenir si loin. Et oui... je suis comme ça, pas encore fini, mal partout mais déjà envie de revenir :)

Alors que nous étions en train de nous poser pour manger ce midi, j'entends un craquement de branche devant moi. Je me lève et scrute les arbres devant : un jeune caribou !!!! Il faut savoir que ces animaux se nourrissent de lichens et sont donc parfaitement chez eux dans la toundra du grand nord. On le confond souvent avec les orignaux qui eux vivent plus facilement en forêt ou sur des zones rocheuses. Les deux animaux ne se trouvent donc pas du tout dans les mêmes type de végétation. Et ici nous sommes au paradis des rares Caribous donc. Jusqu'à maintenant, hormis les oiseaux les faunes s'est montrée discrète mais croyez moi, quand je vois un animal sauvage, aussi rare que celui ci et dans un endroit si perdu, mon coeur s'emballe. J'alerte mon camarade et fonce chercher mon appareil et commence mon approche. Il a une "distance de sécurité" relativement petite. Les animaux ici ne croisent pas souvent d'homme et encore moins des chasseurs et ne sont donc pas si farouches que ça. 

Après une bonne journée de marche on arrive au pied du dernier mont : le mont Jauffret après celui là le pseudo chemin balisé reprendra sur 5 Km et le trek sera fini. Sur le moment tout parait long mais quand on arrive a la fin tout semble s'être passé si vite. Je sais déjà que je ressentirai ça aussi à la fin de mon séjour dans ce pays. Notre premier soir en forêt, il est donc important de bien laisser sa nourriture et ses poubelles en haut d'un arbre plutôt que près de sa tente quand on sait que les ours noir peuvent sentir un tube de dentifrice à plusieurs dizaines de kilomètres... Ce soir, sachant qu'il nous restera 4 heures de marches environ demain, on peut se permettre une double ration de lyophilisés et ça fait plaisir !

Jour 4

Cette journée s'annonce relativement simple. Une grosse descente mais si il y a un chemin et plus de neige ça ne devrait pas poser de problème. C'est sans compter mon genoux qui déteste les descentes et qui commence a m'alerter grandement par moments... Comme je disais, le moral compte souvent plus que le physique donc on avance... J'avoue avoir un petit pincement au coeur quand on commence à entendre à nouveau les camions qui passent sur la piste. A 500 mètres de cette dernière on se rappelle rapidement comment ces 500 mètres de pistes sont simples comparés aux 500 mètres du lac magique ;). On décide tout de même de profiter de notre dernier repas en forêt avant d'avoir à faire du stop pour retourner à la voiture...

Faire du stop au milieu d'une piste de gravelle avec des camions qui passent sans s'arrêter dans un nuage de poussière, et en plein soleil au final c'est presque plus difficile que de marcher dans la boue, la neige, la flotte. La possibilité de ramasser de l'eau fraîche a ses pieds est un formidable luxe inestimable. Après un peu plus de deux heures de stop mon camarade a pu se faire prendre et aller rechercher son véhicule. Pendant ce temps je l'attends, dévoré par les maringouins et les mouches noires qui par chance ne se montrent que maintenant mais envahiront vite les lieux. Quelques goûtes tombent mais elles font du bien. Un seul panneau indique à l'entrée du chemin "Aucun secours ne pourra vous être apporté ici : Vivez libre"

Plus que 1000Km et on sera rentré à la maison... enfin je dis maison mais voila 5 mois que je suis ici et que j'ai toujours pas de chez moi.... mais ceci est une autre histoire. Les difficiles mais célèbres Monts Groulx sont faits et je suis toujours en vie ! Pieds décomposés, genoux et chevilles en compote, une grande envie de manger une côte de boeuf d'un kilo voir plus avec des patates, des démangeaisons de piqûres à réveiller un mort, une envie de massage et d'un bon bain, dormir dans un vrai lit. Le bonheur s'en vient mais un autre est déjà derrière moi :( .

Quelques photos dans cet album : Monts Groulx

10 comments:

  1. Très beau récit ! Bravo pour avoir réussi ce trek ! Bonne continuation !

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  2. Merci Laure. V'la ti pas que même les plus grands de pvtistes.net viennent mettre des commentaires !!
    Bonne continuation à vous aussi ;)

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  3. Punaise, Morjan, Tu me fais rever là !!!

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  4. Content que ca te fasse rêver. Mais c'est difficile de faire passer toutes les sensations de ce genre de périple, ce qui est sûr c'est que je veux vire la bas dans les bois :p
    Bonne continuation à toi et un coucou de ma part à toute la boîte ;)

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  5. j'ai mal aux genoux pour toi, mais j'en ai aussi plein la tête grâce à ton récit ! merci !

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  6. Merci Viviane.
    Mal aux genoux, mal à la tête ?? Je songe donc à faire de la pub pour advil sur le blog ! :p

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  7. Ton récit ne me coupe pas l'envie d'y aller, bien au contraire! Merci d'avoir raconté ton aventure et encore bravo pour la performance!

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  8. Bon récit, après avoir fait cette première traversée l'an passé, je remet ça cette année! Une traversée de 6 à 8 jours pour l'exploration et la decouverte!

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    1. Merci Anonyme. Je compte bien y retourner aussi et si possible en fin d'ete pour participer aux activites des amis des Monts groulx :)

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